Alors que son roman Dans les veines a paru il y a quelques mois, Morgane Caussarieu revient sur le devant de la scène avec un nouvel ouvrage. Mais pas de fiction cette fois, la plus punk des auteurs de la scène fantastique s’aventurant ici dans le monde des essayistes. Pour se démarquer, elle choisit de s’aventurer dans une contrée peu balisée par les spécialistes du genre, même si fortement représentée, à partir des années 1970, dans la littérature et le cinéma aux dents longues : la Louisiane.
Un choix qui a d’emblée attiré mon attention, d’autant que la migration des vampires depuis l’Europe au Sud profond des Etats-Unis est initié principalement par celle qui a révolutionné le thème du vampire à la fin des années 1970 : Anne Rice.
Si certaines affirmations me semblent sujet à caution (je ne suis pas convaincu que le château de Dracula soit calqué sur celui de la comtesse Bathory historique) et certains avis personnels un peu hâtifs (notamment dire que la série de Charlaine Harris « peine à séduire les lecteurs de plus de 16 ans »), ces éléments sont bien rares en comparaison de l’impressionnant travail de recoupement et d’analyse effectué ici.
De la place de l’esclavage au conflit nord-sud, de l’importance de la Nouvelle Orléans aux relations ambiguës qui existent entre la Louisiane et les minorités, l’auteur ne laisse vraiment rien au hasard, s’appuyant autant sur des ouvrages et films vampiriques que sur des œuvres annexes qui partagent certaines similitudes autant avec le mythe qu’avec la manière dont il s’intègre dans l’ambiance des bayous (notamment la série des Candyman). Tout cela est bien documenté, abonde d’illustrations (qu’on aurait préférées en couleur pour certaines, mais la maquette et la qualité du papier compensent), et écrit avec une plume incisive qui ne manque pas de panache.
Une idée transcende l’essai : celle que le vampire, qui avait perdu une part de sa symbolique en Europe, trouve un nouveau souffle en Louisiane, où il excelle à mettre en scène les traumatismes du vieux sud, en incarnant autant les masses opprimées que leurs persécuteurs. Ce qui reflète au mieux les contradictions de ce territoire en marge du reste des Etats-Unis. Et si Anne Rice marque les débuts de cette migration vampirique, nombreux sont ceux qui la suivront sur ce terrain (Laurell K. Hamilton, Charlaine Harris, Katherine Bigelow, Poppy Z. Brite, etc.).
Un essai chaudement recommandé, qui permet de mieux comprendre l’une des tendances marquante du récit de vampire des 20 – 30 dernières années, qui préférait s’expatrier dans les bayous plutôt que de continuer à régenter son petit monde depuis sa forteresse isolée d’Europe centrale. Une transition qui se fait pour autant en douceur, le règne végétal de la Nouvelle Orléans et de ses environs étant aussi dense que celui de la Transylvanie, le bien nommé pays par-delà la forêt.