Né en 1910, Hugh B. Cave est un écrivain doté d’une très importante bibliographie, depuis ses nouvelles pour les pulps des années 1930, jusqu’à sa redécouverte dans les années 1970 par Karl. E. Wagner. Correspondant de guerre, propriétaire de plantation de café en Jamaïque, l’auteur est un touche-à-tout : nouvelles, romans, essais sur la guerre, littérature jeunesse… Reste que Cave est trop peu connu en France, malgré son œuvre abondante. Jacques Finné, déjà derrière le précédent recueil La Femme de Marbre (NéO, 1988), reprend ce dernier en y adjoignant notamment « Murgunstrumm », l’un des fleurons du nouvelliste (au détriment malheureusement de « The Brotherhood of Blood », un texte vampirique).
Dans «Stragella », (Strange Tales of Mystery and Terror, 1932) deux naufragés, Yancy et Miggs, abordent un navire sans équipage, le Golconda. En explorant les lieux, ils trouvent de nombreux squelettes d’animaux. La curiosité de Miggs l’amène à cueillir une étrange fleur, avant de sombrer dans le coma. Yancy, qui poursuit sa découverte du bateau, finira par être confronté à Stragella. Laquelle, avec ses deux acolytes, est à l’origine de ce qui s’est passé sur le Golconda. L’histoire mêle des motifs comme La Mer des Sargasses, Le Hollandais Volant avec la figure du vampire, qui s’impose dans la dernière partie du récit. Menés par une femme, les vampires de cette histoire viennent de Serbie, doivent dormir dans leur terre natale et craignent la morsure du soleil et les crucifix. Leur présence sur un bateau échoué, l’équipage n’ayant pas résisté à leur faim, ne manquera pas de rappeler l’épisode du Démeter dans Dracula.
« Murgunstrumm » est un des textes phares de Cave, partie prenante de très nombreux recueils horrifiques (Stephen Jones l’a ainsi retenu pour plusieurs de ses anthologies), et inclus dans les différentes compilations anglophones des récits de l’auteur. Pour autant, le texte n’avait jamais été traduit en français à ce jour : il n’était ni intégré à La femme de marbre, ni ne faisait parti des nouvelles traduites de manière éparse. De fait, il s’agit là de la première version française du texte, pourtant important dans l’histoire du vampire dans les pulp. Un récit jugé assez accrocheur pour avoir eu les honneurs de la couverture de Strange Tales, lors de la parution originale en janvier 1933.
L’histoire commence par l’évasion du protagoniste principal, interné depuis quelque temps dans un asile psychiatrique. Résolu à faire entendre raison à ceux qui l’ont conduit derrière les portes de l’établissement, il va les contraindre à retourner à ses côtés dans une sinistre auberge. L’ambiance est lovecraftienne en diable, entre ce jeu sur la folie du héros, et l’intrigue qui se déroule en Nouvelle-Angleterre. Pour autant, le texte convoque un fantastique très gothique, et les vampires qui y sont mis en scène sont très classiques. Armés de croix cousues sous leurs manteaux, les personnages vont découvrir que celui qui les a menés là n’était pas fou. Car derrière les murs de l’ancien établissement géré par l’effroyable Murgunstrumm, se dissimulent des créatures avides de sang. Quel pacte peut bien relier les deux ?
« Le ronronnement du chat » (en VO « Purr of the Cat », paru en 1942 dans Spicy Mystery Stories) est le dernier texte vampirique du recueil. On y suit un artiste qui, après avoir pris en stop une séduisante jeune femme, se retrouve invité à résider chez celle-ci et son père. Le thème de la maison décrépie qui dissimule une horreur encore plus ancienne est récurent dans le recueil : « La cave aux chuchotements », « Celles qui attendent » en sont d’autres bons exemples. Pour autant, cette nouvelle-ci joue sur le registre du vampire, et ne flirte pas tant avec le weird. L’auteur y met en scène des créatures capables de s’abreuver de l’énergie vitale – par le sang – de leurs victimes. Dans le même temps, il file la métaphore féline, jusqu’à un final qui voit les rêves du protagoniste central rejoindre la réalité. Un choix que Sheridan Le Fanu aurait sans doute apprécié.
Le reste du recueil est de très bonne tenue. Hugh B. Cave y a recours à un certain exotisme (« Le Culte du Singe Blanc », « La Femme de Marbre », « Stragella »), qui souligne son existence de bourlingueur (rappelé par Jacques Finné en préface). Mais dans des textes comme « Murgunstrumm » ou «Le ronronnement du chat », c’est davantage dans l’ambiance poisseuse de l’Amérique profonde qu’il conduit le lecteur. La Nouvelle-Angleterre, avec ses habitants prompts à dégainer les fourches, apparaît ainsi de manière récurrente dans les récits ici présents. Elle paraît dans le même temps propice à mettre en scène des créatures avides de sang. À l’exception de « Murgunstrumm », dont les entités sont des ersatz de Dracula, Cave semble enfin plébisciter la femme vampire. Voire les créatures surnaturelles d’essence féminine, éternelles sources de tentations, de dévotions et d’excès pour les hommes.
Un recueil particulièrement représentatif des débuts de carrière de Hugh B. Cave, auteur américain incroyablement prolifique [première nouvelle publiée en 1930, dernier roman en 2011]. On y découvre un nouvelliste doté d’un excellent sens de la mise en scène, doublé d’un conteur hors pair, ce qui permet de pallier aisément à un léger manque de style. Mais Cave n’en était, après tout, qu’à ses premiers textes édités.