La bombe envoyée par Staline a dévasté l’Europe. L’Angleterre, qui vient de survivre à la Grande Peste et au Blitz, se retrouve elle aussi plongée dans une nuit infinie, coupée de toutes nouvelles du continent. C’est alors qu’une vague de disparition sans précédent défraie la chronique : de jeunes enfants se volatilisent dans les quartiers pauvres, puis dans les quartiers plus riches. L’armée envoie, Vassilissa, une vampire russe sous son contrôle total, pour identifier et résoudre le problème. Car qui, sinon un Rôdeur, pourrait ainsi faire disparaître ces enfants ? Arthur Smitty, un photographe américain, et Gwen, son amie, héritière d’une des plus riches familles en place, vont rapidement se retrouver impliqués.
Je connais la plume de Nelly Chadour depuis quelques années maintenant, après l’avoir découverte dans sa série des Aventures de Diane Daventin, aux éditions du Carnoplaste. Mais j’avoue que c’est surtout avec Sous la Peau, son roman chez Trash, qu’elle m’a le plus accroché. Espérer le soleil, nouvelle sortie de l’auteur dans le giron des incontournables Moutons Électriques, me donne enfin la possibilité de la voir se frotter à mon thème de prédilection : les bêtes à crocs. Et il faut dire qu’elle nous plonge d’emblée dans le vif du sujet, ouvrant son récit sur la transformation de Vassilissa, figure vampirique principale du roman. Une introduction qui nous propulse dans la campagne Russe, et verra la jeune vampire alors humaine se frotte à la Baba Yaga. Une introduction finement ciselée, qui dégage une ambiance forte, et trouve son point d’orgue sur le duel entre les deux femmes.
Pour autant, c’est bien le Londres du Blitz qui sert de cadre principal à l’histoire (et le récit s’y déploiera de bout en bout, si l’on excepte les interludes qui permettent de découvrir les temps forts du passé de certains des principaux protagonistes). Un Londres uchronique, où Staline a plongé le monde dans un hiver nucléaire, et où l’armée anglaise a eu recours à la magie pour mettre sous sa coupe une vampire destinée à lutter contre ses paris. Le mix époque du blitz et post-apo fonctionne parfaitement, bien mieux que les posts-apo récents auxquels on avait fini par s’habituer (La lignée de Guillermo Del Toro en tête). Et si toute uchronie londonienne a tendance à me faire penser au Anno Dracula de Kim Newman, on est ici très loin de l’univers bourré de références littéraires et cinématographiques de l’auteur anglais. Nelly Chadour réinvente complètement l’époque par l’entremise d’une Histoire qui ne s’est pas déroulée comme on la connaît (alors que chez Newman c’est davantage l’histoire qui finit par influer sur l’Histoire). D’autant que l’auteur, si elle dresse le portrait d’une ville crédible, compte tenu de son époque et de la tournure prise par les événements, a choisi de créer son propre référentiel, si ce n’est quelques éléments qui viennent enrichir les mythologies qui se confrontent au fil de l’histoire (la Baba Yaga en tête, mais pas que…).
Espérer le soleil est un roman sombre, à l’image de la chape de nuage qui semble ne plus vouloir laisser filtrer les rayons du soleil. Les personnages ont tous une part d’ombre, aucun ne tombe dans le manichéisme primaire, et ce dès leurs premières apparitions (Jaime en est un bon exemple). L’auteur a ainsi mis beaucoup de soin à adosser chacun de ses protagonistes à une histoire personnelle riche (qu’on découvre plus en avant via les interludes). Ce n’est ainsi pas un personnage en particulier qui va prendre la tête de l’histoire, mais bien l’ensemble, leurs destins respectifs se croisant, et leur background venant enrichir (et justifier) les différents arcs narratifs, qui trouvent tous un point de rencontre pour un final qui ne manque pas de rebondissements (et d’un ton acide).
Le thème du vampire repose essentiellement sur le personnage de Vassilissa, qui est une des rares vampires (on les appelle les Rôdeurs) à se déplacer en dehors des sous-sols de la ville. Sous le contrôle de l’armée, marquée par un rituel auquel elle ne peut se soustraire, elle a pour mission de débarrasser la ville de ses pairs jugés trop dangereux. L’introduction nous ramène à sa transformation, qui remonte à un combat contre la Baba Yaga. Cette entrée en matière permet au lecteur d’appréhender certaines caractéristiques des vampires de cet univers : ils ne se déplacent que la nuit et craignent surtout la morsure de l’argent, les symboles religieux ne fonctionnant pas sur eux. Ils sont enfin à même de se créer des esclaves serviles, un vampire étant en mesure de contrôler sa progéniture.
Le roman de Nelly Chadour fait la part belle au thème du vampire tout en convoquant d’autres mythologies, plus inhabituelles en fantasy urbaine. Il n’en reste pas moins que ce roman marque le lecteur par son ambiance très réussie comme par la manière dont les protagonistes y évoluent. Une très bonne surprise, à n’en pas douter, qui arrive dans un très bel écrin, une constante chez Les Moutons Électriques.