En 1903, à Ropraz, dans le canton de Vaux, on retrouve le corps de Rosa, morte d’une méningite, exhumé et ayant subi des sévices innommables. La presse a tôt faire d’affubler l’auteur des faits du qualificatif de vampire. À Ropraz et dans les villages environnants, l’angoisse monte. Dans cette région coupée du monde, la réalité se pare bien vite d’atours surnaturels. Deux autres exhumations ont lieu avant que la police n’arrête Constant Favez, coupable de s’être livré à des actes contre nature sur des animaux. Mais est-il le véritable responsable ou un bouc émissaire ?
Jacques Chessex est une figure importante de la littérature suisse. Romancier et poète (notamment), il a reçu plusieurs prix durant sa carrière. Si on peut difficilement le qualifier d’auteur de genre, le fantastique et l’onirisme s’invitent régulièrement dans son œuvre. À commencer par L’Ogre, son quatrième roman, qui lui vaut le Goncourt. Le Vampire de Ropraz est à l’autre bout de la chronologie de ses écrits. Publié en 2007, il ne publiera plus que trois ouvrages, le dernier en date étant sorti de façon posthume. Le Vampire de Ropraz lui permet de s’intéresser à un fait divers qui a secoué le quotidien du village où il a fini ses jours. L’auteur joue sur le nom de « vampire » que les médias français et étrangers vont donner au criminel. Il met en scène la peur irrationnelle qui se fait jour dans la région, à l’aube du XXe siècle. L’hystérie s’empare des locaux, qui ne cessent de voir l’auteur des faits dans l’ombre. Le mot renforce sur cette peur : il explique sans nul doute les exactions dont on rend bientôt coupable le « vampire », en sus de ces exhumations. Il influencera aussi la lecture de la physiologie et des pulsions de Favez, le principal accusé.
On n’est pas ici face à une créature surnaturelle, mais face à un cas de nécrophilie qui aurait sa place dans le Vampirisme, nécrophilie, nécrosadisme, nécrophagie d’Épaulard, sorti deux ans auparavant. Chessex joue également avec la fiction vampirique, comparant les forêts boisées du canton de Vaud à celles de la Transylvanie de Dracula. Mordant les corps qu’il exhume, se délectant de leurs organes, assouvissant sur eux des pulsions sexuelles, le criminel ne peut que déclencher l’angoisse dans l’esprit des villageois de Ropraz. Si les faits contaminent rapidement tous les environs, les exactions se limitent au cimetière, lieu par excellence du récit gothique.
Au-delà de l’omniprésence de la forets, l’isolement de la petite vallée et la propension à la superstition qui en découle, on peut voir d’autres parallèles avec le roman de Stoker. À commencer par cette idée que le vampire prend forme à travers le regard d’autrui. Jamais il n’intervient, n’explique son geste… Aucun aveu de Favez concernant ces exhumations n’a été enregistré. Le monstre naît par la façon dont il s’érige en opposition aux normes de la société, et le respect des corps en est une. Surtout quand il s’agit de jeunes femmes, pures, virginales. Et il y a cette figure de la dame blanche, qui s’invite à répétition dans la cellule de Favez. Évanescente, jamais on ne mettre la main sur elle. N’est-elle pas elle-même une vampire, qui s’abreuve (sexuellement) de l’interdit ?
Un texte superbement écrit, qui interroge sur la superstition autant que sur la genèse du bouc émissaire. L’auteur conclut par une pirouette littéraire audacieuse, faisant croiser à « son » Favez la route de Blaise Cendras, faisant du Vaudois la source d’inspiration de Moravagine.