Dans son essai Buffy, baroque épopée, le romancier Fabien Clavel propose de s’essayer à comprendre pourquoi Buffy est une série dont le nom provoque soit un enthousiasme sans limites, soit un regard moqueur. La réponse tient dans le titre du livre, qui se propose d’analyser en quoi la série de Joss Whedon tient de l’épopée, au sens classique du terme, et en quoi on peut également la raccrocher au mouvement baroque. L’auteur convoque à cette fin son background (il est enseignant en lettres), et offre ici au lecteur une exploration littéraire de la série, pour mieux en comprendre la richesse foisonnante, les ressorts et l’impact.
Il est intéressant de voir un auteur comme Fabien Clavel abandonner le temps d’un ouvrage la fiction pour s’aventurer dans le champ de l’analyse. Difficile de ne pas trouver logique que l’écrivain puisse avoir une relation particulière à Buffy, quand on connait l’existence de sa trilogie Le Miroir aux Vampires. Cette dernière témoigne sans nul doute de l’influence de la Tueuse de Sunnydale sur l’imaginaire du romancier. Le cadre scolaire (qui se déplace au fil des tomes), la création d’un groupe autour de l’héroïne, une certaine couverture sociétale, la saga Young Adult de Fabien Clavel — bien qu’elle ait son propre souffle — est un bel exemple de l’impact de la licence de Joss Whedon sur la production culturelle.
L’approche de l’auteur est de démontrer que la force de la série réside dans cette double dimension, à la fois épopée et récit baroque. Le livre est donc structuré pour permettre l’analyse de ces deux perspectives même si l’essayiste réfléchit aussi de façon transversale. Buffy est les deux, et c’est bien cette double parenté qui est ici considérée : l’exploration de la facette baroque se fait ponctuellement en regard de son statut d’épopée. Fabien Clavel montre comment se construit la mythologie de la Tueuse, avec en son cœur le personnage de Buffy, figure supra-humaine qui est à la fois le fil rouge et le protagoniste central des sept saisons. De quoi souligner les multiples références qui la sous-tendent, entre matériau classique et influence geek. Cette dimension mythique est aussi vectrice de sens, et porte une large part des métaphores de la série. Buffy regorge de rites de passage et peut être lue de façon psychanalytique (notamment au travers de la place du vampire). Ce premier versant d’étude se fait en convoquant des spécialistes, de Georges Dumézil à John Campbell, mais aussi des intermédiaires avec la forme scénaristique moderne, Christopher Vogler en tête. Clavel montre également les multiples genres auxquels se frotte la série : western, teen drama, science-fiction, fantastique, fantasy… ce qui offre en sous-marin de préparer la seconde partie de l’analyse.
Car selon l’essayiste, ce qui permet de comprendre comment une série peut susciter autant de rejeter que d’adhésion, c’est bien dans son essence baroque. Une fois de plus, Clavel convoque les définitions de spécialistes du genre, les confrontant ensuite avec le contenu des sept saisons. Il nous donne ainsi à explorer l’instabilité, la mobilité des points de vue, la propension à jouer sur les métamorphoses, et la façon dont le décor devient un élément dominateur. Pour ce faire, il s’appuie sur de multiples visionnages, des exemples de chaque caractéristique se faisant jour au travers des différentes saisons et de leurs épisodes. Le procédé a un double intérêt : la grille d’analyse de Fabien Clavel lui permet de souligner la profondeur de la série sur sa continuité, et les mises en abyme constantes auxquelles elle se livre.
La figure du vampire est relativement majeure dans l’exploration de l’auteur. Des personnages comme Spike et Angel sont incontournables pour comprendre le sous-texte constitué par Joss Whedon et les différents scénaristes qui se sont succédés aux manettes de la narration. Mais l’importance des vampires va bien au-delà de ces deux exemples principaux. C’est tout le fond psychanalytique de Buffy, et ce en quoi la série parvient à séduire ses spectateurs, qui repose en grande partie sur ses créatures à cheval entre la mort et la vie. Les vampires sont les entités qui témoignent le plus de l’effet de métamorphose (par leur double visage, qui est une des spécificités de la licence). Ils constituent l’antagonisme en fil rouge des sept saisons tout autant que ceux au contact de qui l’héroïne finira par évoluer, et prendre du recul sur son statut.
Si on pouvait craindre un effet de doublon avec le récent Buffy ou la révolte à coups de pieu de Marion Olité, Buffy, baroque épopée évite la redite par une approche originale, tout en s’articulant au même matériau. Marion Olité s’intéresse au sous-texte de la série, ajoutant aux thèmes incontournables sa propre lecture. Fabien Clavel se focalise davantage sur la construction narrative de la série, y puisant une explication l’attraction-répulsion que ne cesse de déclencher sa mention.