Tristan Tenebrae vit dans un très vieux manoir, au cœur d’une grande ville. S’il a l’apparence d’un petit garçon d’une dizaine d’années, Tristan n’en est pas moins un vampire immortel, âgé de 1000 ans. Seul depuis trop longtemps, si on met de côté Mister Jingles, son majordome orang-outang, et les fantômes et créatures qui peuple sa maison, Tristan est sujet à de récurrentes angoisses, et sent qu’un profond mal-être s’est installé en lui. Jusqu’à ce qu’il fasse la connaissance de Lucille, une jeune fille, et de la mère de cette dernière. Celle-ci, une scientifique, comprend que quelque chose perturbe le vampire, et lui propose de l’aider à analyser ce qui lui arrive.
Ce n’est pas la première fois que le nom de Loïc Clément se retrouve sur le présent site. Le scénariste a en effet déjà joué avec la figure du vampire, au travers très juste Chaque Jour Dracula (appartenant d’ailleurs à la même série : Les contes des coeurs perdus). Associé à l’illustrateur Clément Lefèvre, l’auteur y utilisait le thème du vampire pour parler de harcèlement scolaire. C’était à ce niveau la différence du vampire qui était au cœur du récit. Mauvais Sang place une nouvelle fois un buveur de sang au centre de l’histoire, mais en s’appuyant sur une autre facette de la créature. Ici, c’est plus la solitude du vampire qui est mise en exergue. Dans le même temps, il y a cette idée d’opposition entre l’ombre et la lumière (plusieurs cases où Lucille et Tristan évoluent le font très bien). Et, au-delà du vampire, il y a (ce qui est confirmé par les auteurs dans un petit dossier complémentaire) l’envie de parler de sujet qui leur tient à cœur : la famille. Dès lors, différentes lectures du « sang » nécessaire au vampire peuvent être faites.
Je n’avais jusque-là jamais croisé le travail de Lionel Richerand. Ce dernier est notamment l’auteur de Dans la forêt, et des deux tomes de L’Esprit de Lewis (scénarisés par Bertrand Santini), trois albums sortis dans la collection Métamorphose de Soleil. D’un point de vue graphique, son travail m’a ici rappelé celui de Katsuhiro Otomo dans Hipira le Petit Vampire. Pas forcément en ce qui concerne la couleur, mais plus au niveau du design des personnages. Son approche graphique appuie parfaitement l’opposition entre la part sombre du récit (Tristan) et la lumière qui va venir enrichir la vie de celui-ci (Lucille et sa famille). De même, il opère un basculement progressif entre les deux, manière de symboliser comment les affects du jeune vampire vont être durablement chamboulés. Il y a dans le même temps un certain affinage du trait du personnage au fil du récit, comme si trouver une place dans une cellule familiale lui donnait plus de tangibilité.
Tristan Tenebrae est donc un vampire âgé de mille ans, avec l’apparence d’un petit garçon. Il semble en mesure d’évoluer à la lumière du soleil, même s’il doit se protéger pour cela. Il est également intolérant à l’ail (ce qui pose problème quand son majordome ne connaît qu’une seule recette, à base d’ail). Lorsqu’il est à proximité d’une potentielle victime, ses canines (déjà plus longue que la normale) s’allongent pour lui permettre de mordre ces dernières. Enfin, il est en mesure de voler, des ailes apparaissant en lieu et place de ses bras.
Comme pouvait l’être Chaque Jour Dracula, Mauvais Sang est un album jeunesse qui exploite certaines facettes de la figure du vampire pour aborder un sujet de fond (ici le cadre familial, tout particulièrement la famille recomposée). Une nouvelle fois, c’est assez fin, amusant (avec de nombreux détail d’arrière plan dans les cases, dont des créatures qui témoignent de l’influence de Miyazaki sur le dessinateur) et d’une lecture très agréable.