Grand lecteur de fantastique devant l’éternel, je connais le revue Bifrost depuis des années, mais n’avais jamais eu jusque-là l’occasion d’y jeter un œil approfondi. Habituellement plus consacré à la sphère SF, qui est un peu éloigné de mon corpus (même si la SF a produit de très bonnes choses sur les vampires, choses dont il est d’ailleurs question en partie dans ce volumineux numéro), Bifrost a choisi pour son 60e numéro de se pencher sur le mythe du vampire, en plein boom Twilighto-True Bloodien. Les détracteurs du trimestriel seraient certes en droit de se demander si ce choix éditorial opère ou non d’une forme d’opportunisme, c’est un débat dans lequel je ne m’immiscerais pas. Car a mon sens, il peut bien y avoir opportunisme, tant que le contenu est bon et essaie, à sa façon, d’aller au-delà de la mode.
Ce numéro commence fort les hostilités, en proposant au lecteur 4 nouvelles vampiriques pour le moins différentes. On commence très fort avec Eric Holstein et sa nouvelle Enculés !, une nouvelle au titre aussi incisif que sa narration. Eric Holstein choisit de faire se rencontrer les forces de l’ordre et les vampires sur fond de démantèlement d’un campement rom. Un sujet on ne peut plus actuel (un camp ayant été démantelé à Lyon quelques jours avant que je commence ma lecture) traité sous la forme de témoignages successifs des policiers ayant mené l’assaut. Du moins certains d’entre eux. Le résultat est franchement bien fichu, et se lit d’une traite, sans aucune longueur. Eric Holstein, déjà auteur du vampirique Petits arrangements avec l’Eternité parvient sans difficulté à s’approprier à nouveau les codes du genres, tout en offrant une lecture différente du mythe par rapport à son roman. Plus proche des sources du mythe, plus violent aussi, il offre une introduction rondement mené à ce numéro.
La seconde nouvelle est signée par Christophe Lambert, un auteur qui a publié plus de 30 romans depuis Sitcom en péril (1996). La nouvelle présentée ici, Nuit Rouge est cependant pour moi la moins surprenante du recueil, sans pour autant être mauvaise, le style de l’auteur étant efficace. Le lien entre les expérimentations nazis et les vampires ne datent pas d’hier, et quiconque a déjà lu pas mal de textes vampiriques aura déjà croisé ce rapprochement. On suit donc ici les pas d’une troupe de soldats allemands qui va accepter d’exécuter lors ordres d’un mystérieux Waffen SS, lequel va les conduire dans un lieu d’expérimentation. L’histoire est somme toute assez convenu, même si l’auteur parvient à conserver l’attention du lecteur.
La troisième nouvelle, signé Léni Cèdre, nous transporte en pleine jungle d’Afrique du Sud, et va adroitement mêler chauve-souris vampire et mythologie maya, par l’utilisation du Popol Vuh et de ses personnages principaux. Un texte franchement intéressant, pour le moins documenté, mais qui ne sombre pas dans l’étalage culturel. Au contraire, les liaisons entre le texte maya et la trame contemporain du récit donne une impression onirique très réussie à l’ensemble. Léni Cèdre aura donc choisit de traiter d’un thème vampirique non conventionnel (car éloigné des archétypes européens en la matière), pour un résultat très réussi.
Le quatrième et dernier texte est signé par Ian R. McLeod, un auteur anglo-saxon pour le moins connu pour son travail de novelliste et qui se sera fait connaître en France par l’entremise de Sylvie Denis, et dont le texte ici présent a été publié au préalable dans un récent Weird Tales (je découvre à l’occasion la renaissance de la célèbre revue US). L’auteur s’essaie ici au genre du manuel de savoir-vivre, détourné à destination des vampires (et du coup écrit par un vampire). L’auteur tente donc d’y inculquer à ses pairs un semblant de savoir vivre, notamment comment s’assumer en tant que vampire et ne pas se mettre pour autant en marge de la société. Une idée assez savoureuse, pour un résultat convainquant qui regorge d’un humour so british.
Le reste de ce numéro, du moins dans sa partie consacrée aux vampires, propose pas mal d’articles sur le sujet. Archéologie et histoire du vampire de Patrice Lajoye propose ainsi de remonter le temps à la recherche de cas de vampirisme avérés, et de tenter de relier ces cas à la naissance du mythe littéraire. Pas inintéressant, mais peu surprenant quand on potasse déjà le sujet depuis un moment. Une maladie aux sources du mythe est un article signé Simon Sanahujas qui va se pencher sur la porphyrie, et les liens entretenus par cette maladie rare avec certaines caractéristiques vampiriques connues (comme l’allergie à l’ail ou l’impossibilité de supporter la lumière du soleil). Un parallèle assez intéressant et documenté, qui ne tombe cependant pas dans l’excès scientifique et reste abordable.
Après sa nouvelle introductive, c’est au tour d’Eric Holstein de s’essayer à un article sur le sujet du vampire, et de nous proposer une intéressante mise en parallèle et étude des ressemblances et dissemblances des trois textes considérés comme les fondateurs du mythe littéraire : Le vampire de Polidori, Carmilla de Le Fanu et Dracula de Bram Stoker. A sa suite, Alain Sprauel nous propose un passage en revue des principales versions du Dracula de Bram Stoker, évaluant autant l’intégrité structurelle par rapport au texte original que la qualité de la traduction. Un article que le collectionneur que je suis ne peut qu’apprécier.
David Valagues propose à la suite de cela un article assez complet et intéressant sur le vampire dans les pulps des années 30, utilisant comme matériau de base des nouvelles de Clark Ashton Smith et de Catherine L. Moore (dont le célèbre recueil Shambleau. L’article est documenté, assez fourni en références, et colle bien à l’image que je me fais de Bifrost. Pas mal d’idées de lecture en fin d’article, Clark Ashton Smith étant un des auteurs dont je sous-estimais les relations avec le mythe. L’article qui suit, Anne Rice : du vampire au catholicisme est un de ceux que j’ai trouvé le moins intéressant. L’auteur, Grégory Drake, met en parallèle l’évolution de la foi d’Anne Rice avec celle de sa série vampirique. Il s’agit surtout au final de passer en revue les différents ouvrages des chroniques des vampires.
Xavier Mauméjean enchaîne ensuite par une interview de Jean-Marc Lofficier autour des comics aux dents longues auxquels il a participé. Pas inintéressant, mais tout de même
réservé à ceux qui connaissent un minimum les publications dont il est question (ce qui n’est pas forcément mon cas). Fabrice Colin nous propose True Blood ou la jeunesse comme abîme , un article plutôt bien vu sur les raisons du succès de True Blood auprès du public, et l’étude des éléments sous-sous-jacents à la série d’Alan Ball. Les articles laissent ensuite la place à un guide de lecture de 12 pages où l’amateur de textes à canines ne trouvera pas franchement de grosses pépites à se mettre sous les dents. Les différents chroniqueurs balaient certes un corpus assez large, de Claude Farrère à George R. Martin, mais les textes choisis ne sont pas surprenant outre mesure. A noter cependant la chronique assez incisive de Twilight par Catherine Dufour, associé à une intéressante réflexion sur la place de la femme dans (et vis à vis) l’oeuvre de Stephenie Meyer.
Le dossier vampirique s’achève sur un article intitulé Les vampires sont-ils une légende, de Roland Lehoucq & François Moutou où les deux auteurs vont tenter de répondre à la question de l’existence ou non des vampires. Un exercice pour le moins acrobatique dont ils se tirent avec un certain brio.
Au final, ce 60e numéro de Bifrost, consacré aux vampires, propose à la fois des nouvelles et des articles intéressants sur le sujet, même si une partie de ce qu’on peut y lire à un côté déjà vu, et le guide de lecture qui sort peu des sentiers battus. On appréciera cependant la qualité d’écriture de l’ensemble, notamment des 4 nouvelles, et certains articles fouillés et intelligemment conçus.
Tu as plus de courage que moi sur le développement des nouvelles. Très bonne analyse ^^ Je suis d’accord avec le côté déjà vu.