À l’occasion des 10 ans du festival de Sèvres, habitué depuis ses débuts au métissage des genres, 11 auteurs connus pour leur fidélité à la science-fiction ont accepté de se pencher sur le berceau des vampires. Sous la direction de Jeanne-A Debats, Ugo Bellagamba, Simon Bréan, Philippe Curval, Olivier Gechter, Thomas Geha, Raphaël Granier de Cassagnac, Marianne Leconte, Christian Léourier, Olivier Paquet, Timothée Rey et Christian Vilà explorent chacun à son tour les possibilités offertes par la créature, en l’intégrant à leurs univers.
L’utilisation du vampire en science-fiction donne bien souvent naissance à des textes qui parviennent à dépoussiérer le mythe sans pour autant faire d’infidélités à ses thèmes sous-jacents. En tête, les amateurs du genre penseront immédiatement au recueil Shambleau de Catherine L. Moore, au Vampires de l’espace de Colin Wilson, voire à l’incontournable Je suis une légende de Richard Matheson. C’est donc avec un intérêt certain que j’ai entamé la lecture de ce recueil paru aux Éditions Mnémos, sous la houlette de Jeanne-A Débats à qui on doit, sur le sujet, le très bon Métaphysique du vampire.
« Pire que le vent », de Philippe Curval, lance les hostilités. La nouvelle a tout pour me plaire : le thème du vampire n’y apparaît pas immédiatement et l’auteur offre au final une variation surprenante et maîtrisée du sujet, sans céder aux poncifs. On y suit les pas de Camille et Jérémie, deux journalistes qui enquêtent sur l’apparition de vents mystérieux qui font disparaître certaines personnes… les rares survivants étant retrouvés délestés de certaines de leurs données personnelles. Le style est simple et efficace, mais l’ambiance très réussie (et l’ensemble particulièrement cohérent avec le thème de l’anthologie : Curval ne cédant ni au thème du vampire, ni à celui de la SF, tirant le meilleur des deux).
« Quelques moments dans la vie d’un homme d’affaires » de Christian Léourier m’a moins convaincu. Le mythe y est utilisé de manière beaucoup plus classique (le vampire ici mis en scène n’a rien de très original), même si le détournement capitaliste des pouvoirs vampiriques est assez bien vu. On y suit un employé aux dents longues (au sens figuré) d’une entreprise de cosmétiques qui se voit proposer une évolution de poste juteuse… allant de pair avec l’introduction sur le marché d’un nouveau produit révolutionnaire, sous la houlette du mystérieux Leconte. Le face à face entre le vampire de légende et son avatar économique est amusant et tient la route, mais on reste quand-même sur des sentiers balisés.
« Trou noir contre vampire » d’Olivier Paquet flirte un temps avec le hors-sujet, en justifiant sa présence dans l’anthologie par une pirouette assez amusante. On y voit un jeune accro aux nouvelles technologies se faire pirater son compte, et voir sa liste d’amis réduite à une seule personne. Désemparé, coupé de toute la société, il n’a d’autre choix que de prendre contact avec sa dernière amie, une jeune femme qu’il ne connaît que virtuellement. Car il va falloir être malin pour prendre à son propre piège le vampire des réseaux qui s’attaque arbitrairement à ceux dont le réseau virtuel déborde de contacts. En amateur de nouvelles technologies, je ne peux qu’accrocher à l’exercice, mais le lien avec le sujet me semble bien ténu.
« Femme fatale » de Marianne Leconte est un texte assez particulier. On y suit une être cybernétique dans son errance à travers un Paris post-apocalyptique qui semble figé dans le chaos. Une créature en chasse, avide d’êtres humains, qui ne semble jamais descendre de la moto sur laquelle elle se déplace. Un texte très seventies par son ambiance, qui ne dépareillerait pas dans un numéro de Metal Hurlant ou sous les crayons de Philippe Druillet. Sauvage et assez débridé, c’est une nouvelle qui se penche de manière réussie sur le berceau du vampire prédateur, et le plaisir de la chasse.
« Les ravageurs » de Christian Vilà est également un texte qui explore le versant sensuel (voire romantique) du vampire. On y voit Philippe, un dessinateur de BD vampire, se rapprocher peu à peu de Ghislaine, sa plantureuse voisine d’une quarantaine d’années. Philippe vit dans l’adoration de celle qui l’a transformé, mais sa relation avec Ghislaine risque fort de faire évoluer la situation. Un texte qui présente un mythe du vampire prenant ses distances avec les codes classiques (le héros expliquant peu à peu ce qui différencie sa condition de celle des vampires de littérature et de cinéma), et possède une charge érotique indéniable, mais auquel je n’ai pas accroché plus que ça.
« Les Miroirs de l’éternité » de Simon Bréan voit les vampires, qui se cachent dans l’ombre de l’humanité, se découvrir une Némésis, au moment ou un changement dans un premier temps imperceptible va mettre à mal leur anonymat. Un texte qui semble explorer un temps une vision uniquement classique du mythe (pas très éloigné du monde de La Mascarade) et vire SF dans sa deuxième partie, quand on comprend l’origine de la menace. C’est assez bien ficelé et original. Bref, une bonne découverte.
« Icare Hermétique » de Ugo Bellagamba est un texte assez différent, dans sa manière d’aborder le thème, de ceux qui le précèdent. On y suit des humains qui ont été déportés sur Mercure, et que des mutations scientifiques rapprochent des vampires de légende, les rendant quasi indestructibles, et obligés de se nourrir de sang de rat. Un texte qui joue avec le sujet sans pour autant se servir des grandes thématiques habituellement associées au thème du vampire, ce qui en fait tout l’intérêt.
« S’il te plaît, désenzyme moi un inMouton » de Timothée Rey est également un OVNI dans ce recueil. Rédigé totalement en alexandrin, le texte nous est narré par une des trois intelligences artificielles aux commandes d’un vaisseau en perdition, après qu’une, puis l’autre des IA en place ait fait sécession, donnant peu à peu vie au sein du vaisseau à des créatures immortelles représentant une menace pour toute planète susceptible de voir ledit vaisseau atterrir. Conscience artificielle et mutations génétiques sont au cœur de ce récit surprenant qui a autant d’intérêt sur le fond que sur la forme. Si j’ai mis un certain temps à me faire à la structure particulière utilisée, c’est sans nul doute pour moi un des coups de cœur de cette anthologie.
« La cure » d’Olivier Gechter revient à une narration plus classique, pour un texte à la limite du space-opéra qui voit le capitaine d’un équipage envoyé en exploration à l’autre bout de l’univers, découvrir ce qui a été prévu pour que l’existence de l’équipage ne soit pas mise en danger par les radiations solaires. Plutôt que d’amener la SF aux vampires, l’auteur va inverser la donne, et proposer une histoire bien construite, dommage que la fin soit un peu trop convenue.
« Le vampire et elle » de Thomas Geha est un texte assez symbolique, qui se savoure autant par sa plume que par l’onirisme de cette histoire qui est contée, où un vampire est sorti de sa torpeur par une jeune femme qui semble avoir été sacrifiée. À son intention ? Difficile de situer les personnages comme le contexte, l’auteur ne donnant que très peu de pistes, mais le rythme de l’ensemble comme son déroulement fonctionnent plutôt bien.
« Beaucoup y Ont Cru » de Raphaël Granier de Cassagnac clôt le recueil. On y découvre un trio composé d’un vampire, d’un loup-garou et d’une sorcière savourer la nuit, le moment de la journée où ils ont enfin toute latitude pour laisser leurs instincts prendre le dessus. Reste que je n’ai pas franchement accroché à cette nouvelle, autant par ses côtés très classiques que par sa résolution qui manque cruellement d’innovation.
Au final, le recueil recèle plusieurs perles, des textes sympathiques qui proposent des variations originales et riches en clins d’œil sur le thème du vampire, mais aussi quelques petites déceptions. L’ensemble est néanmoins assez équilibré et est (à quelques très rares exceptions, et encore discutables) fidèle au sujet fixé. Pour les amateurs de bêtes à crocs qui voudraient s’essayer à la SF, il y a largement de quoi s’abreuver dans cette anthologie.