Dracula Beyond Stoker est une publication qui se veut une célébration du Dracula de Bram Stoker. Particulièrement tournés vers la fiction courte, les numéros offrent aux auteurs de rendre hommage au roman de l’écrivain irlandais et à ses multiples facettes. Le titre est édité sous la houlette de Tucker Christine, secondé par Edward G. Pettit du Ronsebach Museum de Philadelphie. À la différence des opus qui suivront, ce premier opus n’a pas de thème clairement défini. On y retrouve essentiellement des récits courts, en grande majorité inédits (un texte déjà publié précédemment). Les formes peuvent varier, entre nouvelle, poème et pièce de théâtre. À noter enfin que tous les contenus ne sont pas des œuvres de fiction, cet Issue 1 proposant un article autour du film Blacula.
Chris McCauley ouvre le bal avec « Fresh Blood aka Dracula ». Le texte a une amorce historique, exploitant une anecdote rattachée à la vie de Vlad III. Mais l’échange entre Dracula et le protagoniste central, un moine, est l’occasion pour le comte de revenir sur sa naissance en tant que créature de la nuit, à une époque bien antérieure à celle de son règne. McCauley n’est pas un inconnu des amateurs de l’œuvre de Stoker : il est derrière le projet de StokerVerse, co-initié avec Dacre Stoker. Son texte montre une bonne compréhension des deux facettes principales du vampire, entre histoire et fantastique, et souligne l’entrelacement entre les deux.
H Parsons prend la suite avec « Frienship and hospitality ». Celui-ci propose une relecture de la première partie du roman original, et de la rencontre entre Jonathan Harker et Dracula. Il y a là l’idée d’un vampire devenu presque neurasthénique qui se trouve revigoré par la présence du jeune anglais, aussi bien par leurs discussions que par son sang. Un récit bien mené, qui montre une connaissance précise du texte, tout en ouvrant une interrogation sur les dessins du vampire quant à sa venue à Londres.
« Tales of the Szgany » de Daniel Dorsch explore la relation qui existe entre Dracula et la tribu de Tziganes qui apporteront finalement les caisses de terre à bord du Déméter. Un sujet intéressant, qui souligne les parallèles entre le vampire, créature du surnaturel qui vit en marge du monde tout en ayant besoin de celui-ci, et un groupe d’hommes et de femmes ostracisés. Pour autant, aucun manichéisme de la part de l’auteur.
« Norsemen Cruise Line » de Henri Herz fait de Dracula un détective de l’étrange, flanqué d’un assistant en la personne d’un descendant de Renfield. Employé par une société de croisière dans le nord, il fait ici face à un culte de Grands Anciens. La nouvelle fait donc se rencontrer les imaginaires de Stoker et ceux de Lovecraft, tout en puisant ponctuellement dans le roman (le bateau où se déroule l’enquête a pour nom Déméter). À la différence des textes précédents, cette nouvelle réinvente Dracula en figure plus positive. L’auteur n’en est pas à son premier texte publié, notamment en ce qui concerne la figure du vampire.
« Elizabeth » de Gerard G. Wagget fait se croiser les destinées d’Elizabeth Bathory et de Dracula (et les liens entre les deux familles). L’histoire se focalise sur le personnage féminin, qui a déjà été emmuré quand débute le récit. La comtesse espère que Dracula acceptera de faire d’elle une créature de la nuit, ce qui lui permettrait de quitter sa prison de pierre. Mais ce dernier n’est pas convaincu, d’autant qu’il sait que sa parente a tenté de faire appel à ses fiancées pour devenir une vampire. Elizabeth aguiche le comte en lui faisant miroiter une solution pour ne plus craindre la croix. Le texte est écrit à la manière d’une pièce de théâtre, tout passant par les dialogues entre les deux personnages, dans un lieu unique et exigu : la cellule.
« Night Museum » de Jessica Gleason est divisé en deux parties distinctes. La première est constituée de messages rédigés sur Twitter par un certain Dracula, qui cherche à nouer des liens. Au fil de ses statuts, il se livre au sujet de sa vie d’immortel, et finit par susciter l’intérêt de quelques followers. La deuxième partie du texte se focalise sur Pénélope, une jeune femme qui s’est toujours considérée comme une noctambule. Ce qui lui donnera l’opportunité de franchir les portes du musée de la nuit, et son propriétaire et guide. Jessica Gleason a déjà publié un roman et quelques nouvelles.
« Upon the death of an adversary » de Jill Protocowicz imagine Dracula rendre hommage à Van Helsing sur la tombe de ce dernier. Il y a là l’idée d’une fin alternative au roman original, qui verrait le comte renaître de ses cendres et continuer ses exactions. Le texte joue sur la cruauté du vampire autant que sur son désir d’avoir face à lui un adversaire à sa hauteur.
Avec « Dracula for one night only », John Kiste fait de Dracula un immortel piqué au vif pour avoir été décrit par Stoker comme manquant d’humour. Face à un journaliste avide d’avoir sa version des faits, Dracula met sur pied un spectacle de stand-up centré autour de sa personne. L’auteur montre sa connaissance du roman et des caractéristiques vampiriques par la façon dont le protagoniste les exploite devant une audience. Il n’en est pas à son coup d’essai, ayant plusieurs nouvelles à son actif, dont une partie mettant en scène des vampires.
« The Historical Dracula » de Sam Riddick met en scène un jeune père de famille frustré des indispositions de sa femme. Sa rencontre avec Dracula sera pour lui l’occasion de libérer sa frustration, mais dans le même temps de découvrir ce qui motive les choix de Dracula quant à ses victimes.
Toothpickings et son « Back to Blacula » est l’unique article de ce premier volet de Dracula Beyond Stoker. Le chercheur analyse notamment la genèse du film et sa place dans le cinéma vampirique, par l’entremise de son lien avec Dracula. Il s’intéresse également à la relation qu’entretient le métrage avec la blaxploitation et le genre gothique. C’est aussi une lettre d’amour pour les œuvres d’exploitation, et leur importance pour comprendre l’évolution du média. Le début des années 1970 est une période majeure pour la figure du vampire sur grand écran : c’est là où il bascule dans l’ère contemporaine. Le vampire investit la sphère urbaine et ses problématiques sociétales et Blacula est clairement dans cette mouvance.
« From the Grave » de Samuel Marzioli voit Dracula pénétrer une église dans l’idée de faire entendre sa confession par le prêtre. Si celui-ci croit avoir affaire à un fou ou a une mystification, le récit ne l’en intéresse pas moins. D’autant qu’il finira par avoir la preuve que son interlocuteur est bien celui qu’il paraît être. Le vampire a mis le pied par jeu dans le bâtiment, avec pour objectif de se nourrir du prêtre. Mais celui-ci pourrait avoir plus d’un tour dans son sac. Marzioli est un des auteurs les plus prolifiques du recueil, avec près d’une trentaine de nouvelles à son actif.
La dernière entrée de ce Dracula Beyond Stoker est un poème de Jessica Lévai, « Quest of the lifetime ». Les vers tendent à voir Dracula embrasser son rôle de phénomène de la pop culture. Il y a autant des liens avec le personnage du roman (par la figure des fiancées), mais aussi des références à ceux qui l’ont incarné après cela, à l’écran. Le protagoniste le dit lui-même, il ne peut pas mourir : il finit toujours par être rappelé à la vie. L’autrice a déjà édité quelques poèmes et une poignée de nouvelles.
Cette première livraison de Dracula Beyond Stoker regorge donc de textes inventifs, référencés et ludiques qui témoignent de l’intérêt sans cesse renouvelé pour le roman de Stoker. Après cette première livraison plus que prometteuse, difficile de ne pas attendre la suite avec impatience.