En 1972 parut un livre intitulé In search of Dracula (traduit en 1973 en français) écrit par Raymond T. McNally et Radu Florescu (aidés par Matei Cazacu qui ne put participer qu’officieusement du fait des lois communistes de Roumanie). Le lien entre Vlad Tepes et le vampire de Bram Stoker fut établi. Quelles répercussions eut cette publication ? Je l’ignore. On peut toutefois penser qu’une telle révélation ne fit pas la une des journaux et demeura – un temps – assez marginalisée.
Nous sommes en avril 1979. Le nouveau numéro de la revue Historia propose une couverture qui put en étonner plus d’un : « Qui était Dracula ? ». On y voit la jeune Isabelle Adjani en proie à ce personnage peut-être oublié et qui ressortait alors de l’ombre. En cette année 1979, un nouveau film de Werner Herzog apparait sur les écrans, tourné en hommage du Nosferatu de Murnau de 1922 : Nosferatu – fantôme de la nuit.
En 1979, nombreux devaient être ceux qui ignoraient encore tout des racines historiques du personnage de Bram Stoker (surtout quand on voit qu’il est encore assez mal connu aujourd’hui). La figure de Dracula – largement mythifié et véritable symbole de l’épouvante – devait difficilement paraître conciliable avec la réalité historique. Christian Roux-Pétel profitant de la sortie du film s’attaqua donc à présenter le « monstrueux seigneur » (p.130).
A l’instar du roman de Bram Stoker où le vampire n’est perçu que par le prisme des différents auteurs, Christian Roux-Pétel nous plonge dès les premières lignes au sein des rangs de Mohammed II afin de nous présenter Vlad Tepes. Le « redoutable guerrier » turc lui-même dut « réprimer un sursaut d’horreur à la vue de l’hallucinant spectacle qui s’offrait à ses yeux ». L’idée : si même les Turcs sont surpris, c’est que l’horreur dépasse l’entendement…
Illustré par une célèbre gravure propagandiste du XVème, le texte de Christian Roux-Pétel dresse dès le premier paragraphe un portrait en creux du voïvode Valaque : « au milieu des ruines noircies par les flammes, se dressait une forêt de pals, sur lesquels, tordus dans des postures d’épouvante, quelque vingt mille cadavres achevaient de décomposer ». Le décor est planté, on comprend vite que ce tueur de « bons chrétiens » (p.130) ne sera pas présenté dans toute sa complexité.
Continuant la peinture macabre des charniers qu’aimait tant Dracula, Christian Roux-Pétel le dépeint comme l’un des plus grands monstres de tout l’Occident, inhumain et profondément sadique. La concurrence est rude pour le vampire d’Herzog qui fait pâle figure à côté d’un être qui réclame tant de sang. A la manière du rejeton de Charles Perrault, Vlad IV laisse sur son chemin les stigmates de son passage : « des forêts de pals » (p.131). L’auteur multiplie les récits des exactions de Dracula, s’appuie sur divers écrits à l’instar des manuscrits de propagande du XV et XVI, diverses anecdotes ou le texte de Nicolas de Modrussa qui consigna le « génocide » que perpétra le tyran. Aucun, pas même les femmes, enfants ou boyards, ne semblait pouvoir échapper à sa folie meurtrière. Vlad IV : un champion de l’égalité avant l’heure ?
Pour Christian Roux-Pétel le doute ne semble pas permis. Dracula est un monstre sadique et sanguinaire qui ne vit que pour le meurtre. Cette « démesure dans le crime » (p.132) se justifie peut-être par l’enfance difficile et mortifère du voïvode – aux mains des Turcs – que nous raconte laconiquement l’auteur. Tout ne s’arrête pas avec la mort de ce « prince du mal » (p.132) qui fit trembler l’Islam. En effet une série de catastrophes détruisit petit-à-petit le « monastère maudit » (p.133) où reposa le corps de Dracula. Son château connut le même sort. Comme si le temps eut voulu effacer les traces du passage de cet être trop maléfique. Un dernier développement résume parfaitement bien le cheminement de Bram Stoker qui l’amena à s’approprier le voïvode pour en faire le sinistre vampire de son roman.
Nous sommes en 2010. L’histoire de Dracula s’est enrichie notamment par les publications de Matei Cazacu et ses nombreux plagiaires. De nos jours, l’article de Christian Roux-Pétel est à relativiser. Toutefois, il s’agit d’une publication assez intéressante qui ne désinforme pas. Au contraire, bien informé et malgré son ancienneté, l’article nous permet de découvrir quelques informations peu courantes.
On pourrait reprocher à Christian Roux-Pétel d’avaler les yeux fermés toutes les histoires diabolisant Dracula sans ne jamais se modérer dans sa diatribe (sauf un seul « dit-on » relevé en légende de photo p.136). Vous l’aurez compris, ce texte est à apprendre par cœur si vous souhaitez raconter l’histoire romanesque du ‘vrai Dracula’ (autour d’un feu en pleine nuit de préférence). L’article est à épurer de diverses scories si vous souhaitez être plus rigoureux.
Un article à prendre d’un œil averti, en effet, surtout que l’on revient actuellement doucement, paraît-il, sur l’hypothèse de l’inspiration historique. Non qu’il n’y en eut pas, mais peut-être pas au point de ce que les célèbres McNally et Florescu entendent. A suivre, donc…