Jean Marigny et Jacques Finné, déjà anthologistes sur Les Femmes vampires (2010), proposent ici un compagnon à leur premier recueil de texte mettant en lumière la figure de la femme vampire. La préface, signée Jean Marigny, revient sur la genèse des vampires de genre féminin, depuis leurs premiers pas dans la poésie romantique jusqu’aux années 1990. Mais il pose aussi les lignes directrices de cette nouvelle compilation, qui se focalise exclusivement sur le domaine anglo-saxon et la période allant de 1888 à 1914. Les textes sont des nouvelles relativement peu connues, traduites pour la majorité pour la première fois en français. Et si les auteurs semblent avoir piochés dans les anthologies anglaises de Richard Dalby, ils ont aussi veillé à ne pas se limiter qu’à cette seule source, remettant également au gout du jour des textes comme « Le Tombeau de Sarah » de F.G. Loring et « La Chambre dans la Tour » de E.F. Benson.
« Les derniers seigneurs de Gardonal» de William Gilbert, est le premier texte à figurer au sommaire de l’anthologie. S’il a indubitablement sa place dans le recueil, il n’en met pas moins un certain temps avant de dévoiler sa part vampirique, par l’intermédiaire de la sorcellerie. Un seigneur désireux de s’approprier une jeune femme dont il s’est épris, la fera revenir sans le savoir d’entre les morts. Se faisant, il va l’attacher à lui par le sang, et devenir une victime.
« Ce que me Raconta Ken » de Julian Hawthorne (fils de Nathaniel Hawthorne, l’auteur de La Lettre Ecarlate) conduit le lecteur en Irlande. Le héros, qui raconte ce qu’il a vécu à un ami, s’y est retrouvé aux prises avec une entité mi-fantôme mi-vampire. Morte dans des circonstances tragiques, il s’agit d’une âme égarée qui n’a d’autres choix que de s’attaquer aux vivants… par la gorge.
« La Femme aux Yeux de Miel » de Dick Donovan tire son épingle du jeu vis à vis des deux textes précédents. On s’éloigne en effet de l’attirail gothique pour être confronté à une femme qui fait tourner la tête de ses victimes. Le personnage d’Annette à quelque chose du serpent (auquel elle est mainte fois comparée), mais elle n’en est pas moins vampire dans sa relation avec Jack Redcar (besoin de sang y compris). La postface du texte nous apprendra, en détaillant un autre texte que l’auteur a consacré au personnage, que celui-ci n’est que le dernier maillon d’une longue chaine.
« La Tombe de Sarah » de Frederick George Loring est une autre des très belles surprises du recueil. Seule nouvelle fantastique de son auteur, le texte met en scène le retour progressif à la non-vie d’une vampire, enfermée dans sa tombe depuis des siècles. L’auteur en appelle, par l’intermédiaire de son narrateur, sorte de détective / archéologue de l’étrange, au folklore vampirique d’Europe de l’Est (et l’histoire de Sarah semble s’imprégner de celle de La Comtesse Bathory). A l’aide d’ail, de baie d’églantier et d’un pieu, le protagoniste viendra-t-il à bout de cette menace venue du passé ?
L’anthologie se poursuite avec « Luella Miller » de Mary Eleanor Wilkins Freeman. Le texte est quelque peu à part vis à vis de ceux qui le précèdent (voire qui le suive), s’agissant davantage de vampirisme psychique. Le personnage suspecté n’est jamais présenté comme se nourrissant du sang de ses victimes, pour autant tous ceux avec qui elle partagera sa vie feront les frais de ses besoins, et finiront vidés de leur force. A noter que dans les périodes ou Luella se « nourrit », elle prend des couleurs et se remplume, ce qui n’est pas le cas quand elle n’a plus personne à proximité.
« Le Vieux Portrait » est une courte nouvelle de Hume Nisbet. L’auteur y raconte l’histoire d’un artiste qui chine un tableau et son cadre, avant de s’apercevoir que l’ensemble cache une toile plus ancienne. Cette dernière va rapidement donner l’impression qu’elle se nourrit de sa propre vie. On est donc ici face à un vampire d’un genre un peu particulier : un tableau.
« Aylmer Vance and the Vampire » est un texte écrit à quatre mains, par Alice et Claude Askew. Le détective de l’étrange Aylmer Vance et son biographe Dexter vont être confrontés à un cas de possession vampirique qui touche le couple Davenant. Il semble que la demeure de la famille de la jeune mariée, où les jeunes mariés ont posé leurs valises, n’y soit pas pour rien. Vance aura l’occasion de démontrer ses connaissances en la matière en identifiant la présence du vampire en présentant un bouquet de fleur bien précises à ce dernier.
« La Chambre dans la tour » de E.F. Benson est un texte que Jacques Finné avait déjà eu l’occasion de traduire, dans un recueil consacré à l’auteur. On pourrait le rapprocher de la nouvelle de Nisbet, car là aussi l’entité vampirique qui va affecter le personnage principal est reliée à une toile. Un texte à mi-chemin entre la hantise et le vampire, assez représentatif de l’œuvre de Benson et des Ghost Stories anglaise de cette époque.
Au final, cette nouvelle livraison de Jean Marigny et Jacques Finné permettra au lecteur francophone de découvrir des textes jusque-là indisponibles dans notre langue, tout en remettant en lumière des textes déjà traduits, mais plus trouvables depuis bien des années. L’ensemble permet de mesurer la richesse de la production courte qui s’attache à la figure du vampire, trop souvent occultée par les textes longs que sont Le Vampyre, Carmilla et Dracula. C’est particulièrement vrai pour Carmilla, qui est LE texte qui a ancré l’imaginaire de la femme vampire, mais qui ne doit pas faire oublier qu’elle n’est pas la seule des créatures féminines avides de sang (ou d’énergie vitale).