Mouh mouh est un recueil d’histoires courtes dessinées par Jacques Tardi, et qui constitue un florilège de ses premiers travaux en bande dessinée. Chaque segment est précédé (ou suivi) d’une explication du dessinateur, qui relate son évolution dans le monde de la BD, et le contexte d’écriture de l’album. La plupart des récits sont dû à des binômes, Tardi illustrant des textes de De Beketch, Dionnet ou encore Costa Magna. Pour autant, plusieurs de ces fictions courtes sont des créations de Tardi seul, notamment « La Bascule à Charlot », qui clôt le recueil et illustre la position de l’auteur sur la peine capitale. D’un point de vue thématique, le reste des histoires est très marqué par les deux conflits mondiaux, même si ce ne sont pas les seuls thèmes présents. Ainsi « Allô Janine » flirte avec le giallo, et « L’homme qui connaissait le jour et l’heure » lorgne vers le hardboiled.
S’agissant des premières armes de Jacques Tardi, le trait est moins affirmé que dans ses séries et albums plus tardifs. Reste que le style est déjà là, et le lecteur reconnaîtra au fil des segments des ébauches de personnages comme Brindavoine ou Adèle Blanc Sec. Le retour au noir et blanc pour des histoires initialement publiées en couleur permet également de souligner la noirceur du propos, et le fond d’absurde (voire de folie) latent dans l’œuvre de l’auteur.
C’est « Le brouet écarlate » qui constitue l’intérêt vampirique du recueil. L’histoire est sortie en 1974 dans le magazine Pilote. Le texte est scénarisé par Michèle Costa-Magna, sous le pseudonyme de Michèle Tingaud. A noter que la première version publiée était en couleur (ce qui n’est pas le cas des histoires reprisent dans Mouh mouh, qui sont en noir et blanc). Vu l’année de publication du récit, on est là face à une des premières irruptions du vampire dans la production française. Les auteurs ancrent leur récit dans le moyen-âge, en se focalisant sur le mal dont semble être atteint la femme d’un seigneur local. Le sorcier local semble être le seul à réaliser (et accepter) ce qui arrive, fournissant au mari un breuvage qui seul paraît sustenter son épouse. Quelque part, il y a là certains éléments qu’on retrouvera bien plus tard dans Le Prince de la Nuit, avec cette histoire d’un noble incrédule face à la malédiction.
Mouh mouh est clairement destiné aux grands fans de Jacques Tardi, qui n’en réserve pas moins une surprise à l’amateur de vampire du neuvième art, avec « Le brouet écarlate ». Pas inoubliable, mais historiquement à connaître. D’autant qu’on y retrouve l’ADN des grandes séries vampiriques des années 1990 (Le prince de la nuit, Le roman de Malemort), avec leur ancrage médiéval.