S’agissant d’anthologie sur le thème du vampire, il est parfois difficile de se mettre sous la dent autre chose que des textes déjà vus des dizaines de fois dans d’autres ouvrages du même type. Pourtant, à creuser parmi les ouvrages sortis ces 20 ou 30 dernières années, on peut encore tomber sur des récits inédits, ou tout du moins se faisant rares.
Rédacteur en chef de la revue Fiction pendant de nombreuses années, auteur d’au moins un roman vampirique (Black Velvet, qu’on devrait chroniquer un jour ici), Alain Dorémieux était (il est décédé en 1998) également un fameux anthologiste, à qui on doit la série des Territoires de l’inquiétude, chez Denoël. Une anthologie en 9 numéros qui propose aussi bien des textes anglo-saxons que des textes francophones. Et dont le 4e opus est quasi-intégralement (il y a une exception) consacré au thème du vampire.
Aux côtés des ténors anglophones que sont Dan Simmons, Stephen King, Tanith Lee, (dont on connaît chez Vampirisme.com la pertinence quand il est question de vampires) on trouve également des plumes moins connues (Dennis Etchison, Alan Ryan, Richard Christian Matheson, David J. Schow…), ainsi que des francophones (Wildy Petoud, Jean-Pierre Andrevon et les traducteurs Jean-Danièl Brèque et Pierre-Paul Durastanti). Un panachage de bon aloi, d’autant que les textes sélectionnés ne se cantonnent pas à explorer le mythe de manière classique, plusieurs nouvelles étant marquées par le sceau des vampires psychiques, voire par d’autres manières d’aborder le sujet.
Le recueil s’ouvre donc sur un texte de Dan Simmons, « La barbe et les cheveux, deux morsures ». L’auteur est déjà bien connu des amateurs du sujet, entre ses différents romans abordant le mythe de manière classique (Les Fils des ténèbres) ou non (L’Échiquier du mal). Sans compter pléthore de nouvelles. Ici, il choisit de mettre en scène deux enfants persuadés que le coiffeur du coin est un vampire, et qu’il utilise sa clientèle pour dissimuler ses appétits sanguins. La mise en scène de personnages assez jeunes renvoie à Nuit d’été, de même que l’ambiance de la première partie du récit. Reste que comme à son habitude, Simmons parvient à s’en sortir sans problème face au thème, proposant une relecture qui ne déplairait pas à Lovecraft.
On embraye ensuite avec Stephen King (sacré enchainement !), avec « Popsy », qui voit un kidnappeur aux prises avec un jeune enfant pas si effrayé que ça par son ravisseur. Car Popsy est sans doute déjà sur ses traces ! King choisit comme à son habitude de mettre un enfant au centre de son récit. Pas forcément des plus surprenantes (les habitués auront vite compris de quoi il retourne, du moins avant l’anti-héros de circonstance), mais efficace.
Dennis Etchison prend en main la suite des opération avec « Seulement la Nuit ». Il invite le lecteur à suivre les tribulations d’un couple qui traverse de nuit le désert Mojave. Une histoire qui n’a de cesse de dessécher le lecteur, autant à la recherche d’un rayon d’espoir que le protagoniste central. Le lien avec le mythe du vampire peut apparaître assez ténu, mais l’histoire à le mérite d’être originale.
Jean-Daniel Brèque prend la relève avec « La grosse Dame ». On le connait davantage pour ses travaux de traduction (Lucis Shepard, Poppy Z. Brite, Dan Simmons, Clive Barker, Brian Lumley), mais il faut également savoir qu’il est l’auteur d’une vingtaine de nouvelles, dont celle présente dans le recueil qui nous concerne, parue initialement sous le titre « La Marâtre ». On y suit la destinée d’une jeune fille dont le quotidien va être bouleversé par l’irruption d’une belle-mère, quelques mois après le décès de sa mère. Une belle-mère dont la proximité semble ne pas forcément réussir à son père, de plus en plus alangui. Un texte inventif qui ne bascule réellement dans l’horreur que dans ses derniers paragraphes.
« Baby Blood »d’Alan Ryan est donc la 5e nouvelle de cette anthologie. On y découvre la conversation entre un VRP et un barman, alors que ce dernier présente à son prospect une nouvelle boisson particulièrement goûtue. Une nouvelle assez sympathique, qui joue pour beaucoup sur son titre et l’ambiguïté qu’impose à son niveau le texte.
« Miaou », 6e histoire qui compose l’anthologie est un texte signé de Tanith Lee, une auteur qu’on ne présente plus aux amateurs de littératures vampiriques, tant sa production sur le sujet force le respect. Pour la présente nouvelle, on la retrouve se penchant sur le berceau d’une créature du plus bel effet, choisissant de placer son récit dans une ambiance féline très réussie. Un croisement entre le mythe d’Orphée et Eurydice, le vampirisme et l’obsession de cette créature ô combien captivante qu’est le chat.
« Vampire » de Richard Christian Matheson est un des textes les plus à part de l’anthologie. Composé uniquement de phrases réduites à un mot unique, son rythme particulier nous permet de suivre l’étrange attirance du personnage central pour les accidents de la route. Une variation réussie sur le thème, aussi bien sur le fond que la forme.
« Terrain de Chasse » de Wildy Petoud prend la suite. Particulièrement malsaine (sans doute un des textes les plus forts du livre à ce niveau), la nouvelle nous conduit à suivre une jeune femme victime d’un viol, ou tout du moins dont l’état d’esprit pour celui qui a profité d’elle en pensant à une autre se transforme rapidement en haine. Jusqu’à donner vie à cette haine. Un texte saisissant qui ne laisse pas indemne et s’avère particulièrement retors jusqu’aux dernières lignes.
Jean-Pierre Andrevon prend en main la suite des opérations avec « À la Mémoire de l’ancêtre ». Un texte très court qui plonge le lecteur dans la relation complexe qui unit deux personnes de la même famille. Et si le thème du vampire est présent dès les premières lignes, il faut attendre les dernières lignes de l’histoire pour pleinement comprendre le bien-fondé de la place de cette nouvelle dans le présent livre.
« Sirènes » est le deuxième texte de Richard Christian Matheson de l’anthologie. Un texte stylistiquement moins jusqu’au-boutiste que le précédent qui joue encore cependant sur l’économie de moyen. Et un des textes de l’ouvrage qui se penche sur la vampirisation par les masses des personnes publiques, ici une actrice pornographique. Un texte qui s’avère tout aussi réussi que « Vampires », bien que très éloigné de ce dernier.
Edward Bryant enchaîne avec « Adorables Enfants ». Encore une nouvelle qui choisit de mettre en scène des enfants face à la cruauté du monde adulte. Qui prend ici la forme d’un nouveau surveillant qui semble se repaître de l’énergie des enfants sous sa garde. Mais qui vampirise qui au final ? Une des autres réussites de ce recueil, au retournement final réussi, même si un peu attendu.
Pierre-Paul Durastanti (traducteur bien connu, notamment de l’œuvre de Tim Powers, mais aussi de Matheson, McCaffrey, Simak, Vance…) et Noé Gaillard prennent la relève avec « Fête galante ». Une histoire assez malsaine, centrée autour d’une femme hantée par son père et les relations que ce dernier entretenait avec elle. Jusqu’à ritualiser ses relations sexuelles, ce qui risque fort de lui être fatal.
« Lumière Rouge » de David J. Schow prend la suite, et revient à sa manière sur le terrain déjà parcouru par Matheson fils dans « Sirènes ». Cette fois-ci, c’est l’image (dans tous les sens du terme) même d’une star de cinéma qui s’avère mis à mal par les fans et les paparazzis qui se sont peu à peu appropriés son existence. Un texte qui s’éloigne un peu de la tension sexuelle qui tend pas mal des autres nouvelles mais n’en reste pas moins captivant par ses idées.
Harlan Ellison enchaîne avec « Essaie donc un couteau émoussé ». Par un des maîtres de la SFFF des années 70, le texte nous offre à suivre le personnage d’Eddie Burma, devenue à son insu la victime de créatures avides, dont la soif de vie va finir par avoir raison de sa propre existence. Un texte novateur pour son époque, qui sort des sentiers classiques pour inverser (à la manière du Je suis une légende de Matheson) les rôles de victimes et de vampires.
Lisa Tuttle conclue le recueil avec « Les Mains de Mr Elphinstone ». Une histoire assez intéressante, qui en appelle au spiritisme et aux ectoplasmes, mais qui entretient un lien très ténu avec la thématique centrale du recueil. Ce qu’avoue lui-même Domérieux en exergue du texte.
15 textes qui explorent donc chacun à leur manière (à une exception près) le thème du vampire, sans pour autant rester dans les sentiers battus. Entre les vampires psychiques et autres créatures avides de sang (qu’il s’agisse ou non de vampires à proprement parler), voire de personnages perdus dans des trames qui n’auraient pas dépareillées dans la Quatrième Dimension, force est d’avouer que ce recueil est intéressant à plus d’un titre, et offre de parcourir des textes à la fois rares et novateurs sur le sujet. Sachant que l’un des axes majeurs de la plupart des textes qui le composent est a minima d’inverser les rôles, et de faire de la victime le bourreau.