À un moment où l’intérêt pour le vampirisme est devenu une composante non négligeable de la contre-culture d’une jeunesse qui ne se reconnaît plus dans la trivialité de notre monde aseptisé, il devenait important que l’Histoire des vampires de Jacques-Auguste Collin de Plancy, qui date de 1820, soit rééditée. En effet, ce livre a été écrit avant que ne soit fixé, sous l’influence de Bram Stoker et de son Dracula, le mythe vampirique tel que nous pouvons le connaître actuellement. Ainsi, les vampires que nous présente Collin de Plancy sont tels qu’on les concevait à son époque à l’image des buveurs de sang classiques de l’Antiquité et de ceux plus récents des pays balkaniques où une véritable épidémie de vampirisme (dont Voltaire lui-même fut appelé à traiter) eut lieu de 1672 à 1755. Neveu du célèbre révolutionnaire français Georges Jacques Danton, Jacques-Auguste Collin fut un écrivain fécond qui ridiculisa dans ses livres les aristocrates, l’Église catholique et les superstitions.
Si je connais surtout l’auteur pour son immense Dictionnaire Infernal, sur lequel j’aimerais mettre la main depuis des années, je n’en suis pas moins attiré par le reste de la production de Collin de Plancy. Aussi ais-je accueilli l’annonce de cette sortie chez Camion Noir avec un intérêt certain. On va d’emblée commencer par aborder les points négatifs : comment peut-on sortir un livre sur les vampires en écorchant plusieurs fois le nom de Bram Stoker (qui ne s’écrit pas ck, même si la faute pullule par les temps qui coure), à la fois sur la 4e de couverture et dans l’introduction ? J’avoue que j’en suis à un point où ce détail me fait grincer des dents, et a un temps entamé mon intérêt pour le livre.
Les amateurs de faits divers, légendes, récits et rapports officiels qui ont déjà lu le travail de Calmet risquent d’être un peu déçu par la teneur du livre de De Plancy, qui a pas mal pioché dans les anecdotes déjà relatées par son prédécesseur pour mettre sur pied son essai (et dans d’autres sources qu’il ne cite pas toujours). Là ou l’ouvrage s’avère intéressant, c’est dans le contexte de sa parution initiale, alors que le Vampire de Polidori rencontrait un succès important (à tel point que des auteurs comme Nodier se sont aussi emparés du personnage). Une oeuvre de commande destiné à surfer sur la vague. Une oeuvre qui a malgré tout l’intérêt de revenir sur les prémices du genre, à l’époque où le personnage de fiction tel que nous le concevons aujourd’hui n’existait pas encore. De Plancy ne fait par ailleurs pas que s’intéresser à des exemples et récits tiers, et propose une analyse des causes physiologique et psychologie du sujet (même si cette analyse reste mince). A noter également, en fin d’ouvrage, le sentiment de l’auteur sur les ouvrages déjà parus sur le sujet, qu’il s’agisse de littérature de fiction ou d’essais (dont il s’est inspiré ou non).
Les vampires dont il est question ici sont ainsi très éloignés du mort-vivant en cape qui fit les beaux jours des décennies suivantes, voire du vampire urbain et moderne que nous connaissons aujourd’hui. Il s’agit de revenant en corps qui ne s’abreuvent pas réellement de sang, mais épuisent leurs victimes, qu’ils vont chercher parmi leurs proches. Pour les détruire, un pieu en plein coeur, la décapitation et brûler les corps semblent déjà être les manières les plus sûres. Le livre n’oublie pas de remonter aux proto-vampires qui ont précédé ces vampires issus du folklore slave, comme les empuses, les stryges et autres lamies. Une revue assez large de toutes ces créatures non-mortes dont il convenait de se défier lors d’un décès, et dont les apparitions semblent avoir entrainé de nombreux décès dans leurs sillages.
Un ouvrage fondamentalement pas inintéressant, même s’il n’apporte pas grand chose de neuf si on s’est déjà penché sur les oeuvres de Calmet, de Ranft ou de Rohr (pour citer les plus connus). Collin de Plancy n’en est pas moins un spécialiste de la question démonologique, qui a rigoureusement sélectionné son matériau de départ, et propose avec ce livre ce qui peut s’avérer une bonne entrée en matière vers les conceptions plus folklorique du vampire.