Une large part des ouvrages publiés autour d’Élisabeth Báthory lui octroient le titre de comtesse sanglante. Les actes de son procès lui attribuent en effet un nombre impressionnant de sévices et meurtres de jeunes femmes, symbole de sa quête d’immortalité. La littérature et le cinéma, à commencer par la Hammer, ont brouillé un peu plus les pistes, contribuant à faire du personnage une des figures historiques incontournables dans la genèse du vampire de fiction. S’appuyant sur des recherches récentes, qui remettent en cause la légende, Anne-Perrine Couët choisit de laisser de côté les fantasmes, et d’offrir une tout autre lecture de la vie de la comtesse.
L’album s’ouvre sur le procès d’Élisabeth, donnant la parole au petit groupe qu’on accuse de lui avoir prêté main-forte dans ses exactions. Le décalage se fait rapidement entre les faits consignés et les récits de ces témoins, qui attestent surtout de l’indépendance et du désir de liberté de leur maîtresse. Engagée dès son plus jeune âge avec le comte Ferencz Nadasdy, Élisabeth trouve aussi un équilibre quand son mari lui laisse les rênes de leur domaine, lorsqu’il part en guerre contre les Turcs. Darvula, que l’imaginaire retient comme une sorcière ayant inspiré à Élisabeth ses actes odieux, devient une figure d’émancipation. Une femme épanouie — notamment dans sa sexualité — qui fait dans le même temps preuve d’une solide connaissance médicale (pour l’époque).
La Comtesse de Julie Delpy (2009) choisissait déjà de traiter la légende sous l’angle réaliste, et contribuait à asseoir l’image d’une femme forte et indépendante. Il n’en faisait pas moins basculer celle-ci dans la folie, à la suite d’une affaire de cœur malheureuse. Le livre d’Anne-Perrine Couët s’affranchit de toute romance — en dehors du mariage de la comtesse avec Ferencz — et esquisse le portrait d’une femme qui s’assume et dérange. Une personnalité qui fait fi des conventions et assume le rôle d’un homme dans une société écrasée par une autorité divine bien pensante et un pouvoir envieux… et masculin. L’un des autres intérêts de l’album, c’est de souligner le mélange constant de la science et de la croyance, dans lequel est élevée la comtesse. Ce qui n’empêche pas une certaine lucidité scientifique de se faire jour entre les rituels séculaires.
Le dessin d’Anne-Perrine Couët est réaliste et expressif à la fois, pas très loin d’un Bertrand Gatignol (Petit). Le trait est fin, reste très proche du crayonné, la mise en couleur, qui passe par des tons pastels et ocres, appuie parfaitement les affects des personnages et les jeux d’ombres. Les scènes où les « sévices » sont relatés font éclater les noirs, flirtant avec la carte à gratter. Et en fil rouge, il y a cette idée que le complot se dessine peu à peu en place autour de la comtesse, enfermant celle-ci dans une toile dont elle ne pourra bientôt plus se dépêtrer.
Un album qui sort des clichés entretenus par des décennies de fictions et de variations sulfureuses autour du personnage, arcbouté sur une réalité qui a été progressivement réécrite. Anne-Perrine Couët s’appuie sur des ouvrages publiés ces dernières décennies, qui tendent à infirmer la légende et à esquisser un récit très différent de celui que l’on connait au travers de romans comme celui de Valentine Penrose. Ce faisant, elle offre à la comtesse une réhabilitation travaillée, proposant un portrait de femme émancipée face à une société qui en prend ombrage.