Dans l’univers où évolue le vampire Navarre, les créatures surnaturelles existent dans l’ombre de l’humanité, certaines réfugiées dans des réalités parallèles. Elfes, ogres et démons ne sont pas que des légendes, même si l’urbanisation du XXe siècle a considérablement réduit leur territoire. Après avoir été victime d’une tournante, Yasmin découvrira les mystères que recèlent les sous-sols de sa cité en fuyant au hasard. Alors qu’elle vient d’arriver, Selima, qui peine à trouver sa place dans sa vie de couple après son mariage avec Abde, se sent attirée par le monument qui trône au cœur de son quartier.
Toutes les nouvelles qui composent Eschatologie du Vampire appartiennent au cycle de Navarre, et ont été publiées au fil des années par l’autrice, dans des anthologies comme celles des Imaginales. Isolées, ces récits ouvrent des fenêtres vers l’univers d’urban fantasy de Jeanne-A Debats, dont Métaphysique du Vampire et la série du Testament sont les fragments les plus notables. Mis bouts à bouts, ils forment un roman fix-up cohérent, qui traverse des centaines d’années. Certaines ne trouvent leur justification qu’au regard d’autres textes placés plus loin dans le livre (c’est le cas de « Mosquito Toast » qui commence le recueil, et de « Gilles au bûcher », qui le termine). Entre, la trame principale démarre quelques mois (années ?) avant l’histoire de Testament, Navarre rentrera de son côté dans la danse après la fin de la trilogie et ses répercussions. Si j’avais déjà lu une partie de ces nouvelles, j’avoue ne rien avoir vu venir. Et c’est d’autant plus remarquable de découvrir que chacun de ces textes a un but dans un tout plus vaste.
A l’image de la série Testament, l’autrice montre sa connaissance de la banlieue parisienne, qu’il s’agisse de ses spécificités architecturales (le monument de Drancy) comme de l’envers du décor. De quoi ancrer dans le réel son récit et aborder ce faisant des thèmes tels que la place des femmes dans les cités, les mariages arrangés, l’homosexualité… Mais Jeanne-A Debats s’amuse tout autant avec les genres littéraires, le premier texte étant typé western quand le dernier bascule dans le post-apo.
Pour ce qui est de la figure du vampire, Navarre est le principal concerné, même si Gilles (de Rais) intervient par deux fois dans le recueil. On (re-) découvrira que les plus anciens de ses pairs peuvent voler, que leurs membres coupés peuvent repousser, et qu’il sont dotés d’une force hors du commun. Ils restent également sensibles à la lumière du soleil : exposés à une source trop vive, ils deviennent poussière. Navarre est quant à lui sensitif, mais ce n’est pas une caractéristique inhérente à sa condition de non-mort, plutôt un héritage de son passé humain. Le personnage imaginé par Jeanne-A Debats est enfin connu (ça se vérifie ici) pour avoir moins besoin du sang des vivants, préférant celui des vampires qu’il chasse (notamment quand il est aux ordres du Vatican).
La force d’Eschatologie du Vampire repose en premier lieu dans sa technicité, la manière dont l’autrice montre texte après texte que derrière des tranches d’univers, il y a une continuité cohérente. Mais il y a aussi la capacité de Jeanne-A Debats a aborder des thèmes de société avec fluidité, sans que cela paraisse à aucun moment forcé. Retrouver Navarre, enfin, est un vrai plaisir. Avec son personnage, l’autrice s’est imposé comme une des voix du vampire en France, aux côtés de Morgane Caussarieu, Vincent Tassy, Mathieu Guibé. Retrouvera t’on Navarre ? L’avenir seul nous le dira. Après tout, Anne Rice a bien mis plus de 10 ans à revenir à ses Chroniques.