Alors qu’Agnès n’attendait plus rien de ces dernières, les sorcières du convent parisien la convoquent à une assemblée. Elle et deux femmes de son âge sont ainsi élevées au rang d’aspirantes sorcières, à même de pouvoir fonder leur propre convent une fois passées certaines épreuves. La Grande Mère compte en outre sur Agnès pour se faire l’écho de ce qui se passe au sein du cabinet de son oncle, dont elle est une des employées. Et c’est justement à ce moment-là que le Cénacle Majeur est rayé de la carte par un attentat, et qu’un étrange sarcophage dont ses membres avaient la garde tombe entre les mains de Géraud. Un artefact dangereux, qui semble susciter beaucoup d’intérêt de la part des créatures surnaturelles, qu’elles dépendent ou non des Instance.
Ce troisième opus est aussi le dernier de la série. Et peut-être le dernier texte à mettre en scène le personnage de Navarre avant très longtemps, comme l’a annoncé Jeanne-A Debats. Car si L’Héritière date de 2014, Navarre hante les nouvelles et romans de l’auteur depuis 2006. Sans pour autant se fermer toute possibilité à revenir à son vampire, l’autrice met donc un terme à une partie non négligeable de sa production, qui lui aura permis d’aborder de nombreux genres littéraires (urban fantasy, SF, fantastique…) et montrer qu’on peut sans tomber dans la redite utiliser de manière récurrente la figure du vampire. Ce dont on ne peut que la remercier, sachant que c’est un des angles d’attaque de Vampirisme.com
Paris est à nouveau un personnage fort du récit. Toujours par ses lieux emblématiques (le Sacré-Coeur par exemple), mais cette fois-ci aussi pour ses habitants, et par le contexte politico-social dans laquelle ils évoluent. Si ce dernier est sensiblement différent du nôtre, il ne s’agit que d’imaginer le futur à partir de l’état actuel des choses (sécuritarisme, racisme…). Une manière réaliste, mais glaçante de présenter les choses : on a beau savoir que tout cela est de l’ordre de la prospective, le lien avec la situation actuelle nous permet aisément de nous projeter. À ce titre, je dois avouer avoir trouvé cet opus bien plus fin dans son approche que le précédent, où les combats de la romancière prenaient parfois l’ascendant sur le reste. Ainsi le thème de l’écriture inclusive est particulièrement bien utilisé dans le texte : sans surenchère, Jeanne-A Debats use de la syntaxe inclusive uniquement quand cela fait sens, montrant par là l’intérêt d’utiliser cette manière de parler d’autrui (l’inclusive n’apparaît que dans la bouche des personnages, et pas dans le texte à la troisième personne) quand l’interlocuteur est en dehors de la classique détermination homme/femme. En dehors de cela, ce dernier volet conserve, malgré une ambiance plus apocalyptique, la touche d’humour des précédents, qui passe une fois de plus par les réparties efficaces de plusieurs des personnages (Navarre notamment, mais pas que).
L’AlterMonde a, comme depuis le premier volet de la série, une bonne place dans cette conclusion. On découvre ainsi de nouvelles factions qu’on avait seulement effleurées jusqu’ici (les sorcières), de même que de nouveaux protagonistes font leur apparition (l’immense créature antédiluvienne, clin d’oeil évident pour les amateurs de lovecrafteries). Mais c’est aussi les origines de l’AlterMonde (pour lequel l’autrice confronte les mythologies) qui s’avéreront être au coeur de ce dernier tome… ainsi que le devenir de ce même AlterMonde.
Côté vampire, on retrouve avec plaisir les grandes figures présentent depuis le début de la série : Navarre, Herfeauges, Dame Bathilde… Mais on s’immiscera plus en avant dans les relations entre les différents Cénacles, la manière dont ils traitent leurs affaires (notamment les questions d’héritage, la place des féals humains dans leur politique …). Tout cela en appelle certes à des éléments connus des lecteurs du genre, mais avec une touche d’originalité suffisante pour que le lecteur blasé n’ait pas l’impression d’être à nouveau face à une énième resucée des poncifs de La Mascarade, de True Blood et autre. Les vampires peuvent communiquer mentalement avec avec leur Elu.e. une fois rencontré.e cet.te dernier.ère. L’élu.e est également très souvent la personne qui met un terme à l’existence du vampire (l’autre événement principal pouvant aboutir à la mort d’un vampire étant d’être annihilé par sa progéniture, quand celle-ci veut prendre le dessus).. Et le pouvoir du sang des vampires, qui leur permet de transmettre (temporairement) leurs pouvoirs à autrui. Voire leur capacité à subjuguer les humains en utilisant leur charisme surnaturel (par le baiser).
J’avais vraiment été séduit par le premier tome, qui apportait quelque chose de rafraîchissant au giron bit-lit (et un contexte français), à une époque où le genre tendait à s’enliser. Ce dernier opus, qui clôt tout un pan de la production littéraire de son auteur, va dans le même sens, en enfonçant le clou : l’urban fantasy est un genre parfait pour parler des problèmes d’aujourd’hui, pour peu qu’on travaille le contexte dans lequel évolue les personnages (et que la romance ne se fasse pas au détriment de l’intrigue). Une approche salutaire, et une preuve (s’il en fallait) que Jeanne-A Debats est une autrice de genre à ne pas sous-estimer, quelle que soit la légèreté apparente des projets dans lesquels elle peut se lancer.