L’histoire commence au moment où la femme de Fritz Lang, Élisabeth, découvre sa liaison avec la scénariste Thea von Harbou. On retrouve son épouse morte, une balle tirée en pleine poitrine, quelques heures plus tard. Alors que la carrière du réalisateur n’est pas encore sur les rails, la tragédie s’invite dans sa vie. Huit ans plus tôt, Lang travaille comme illustrateur à Paris. Le début de la Première Guerre mondiale le pousse à fuir la France, et à rentrer dans son pays. Le futur réalisateur a déjà l’intuition qu’autre chose l’attend, et que le septième art est sans aucun doute celui où sa vision parviendra le mieux à s’exprimer.
À l’image de ce qu’ils avaient pu faire avec Alan Turing dans Le Cas Alan Turing, Arnaud Delalande et Eric Liberge s’emparent de la biographie de Fritz Lang. Ce faisant, ils choisissent de mettre en lumière certaines parts d’ombre de la vie du réalisateur, à commencer par la mort de sa première femme. L’album est relativement chronologique, même s’il ne s’intéresse finalement qu’à une partie précise de la carrière du réalisateur, de ses débuts à sa fuite aux États-Unis. Matière cependant à creuser la genèse de ses premiers films, sans doute les plus connus, alors que la menace posée par Hitler plane de plus en plus sur la politique allemande.
Le dessin d’Eric Liberge a énormément gagné en maturité depuis les premiers tomes de Monsieur Mardigras Descendres, la série qui lui aura permis de percer auprès du public. Visuellement, on est ici dans la (lointaine) continuité d’un Tonnerre Rampant, avec ses couleurs aux tonalités métalliques. Lesquelles épousent un trait fin et précis, qui fourmille de détails. Les nombreuses cases où le réel et la fiction s’entremêlent sont ainsi du plus bel effet. À l’image de ces planches où le dessinateur réinterprète certaines scènes phares de Dr Mabuse, des Nibelungen, de Métropolis ou de M le maudit.
En partie basé sur l’affaire du Vampire de Düsseldorf, M le Maudit (1931) cristallise les éléments vampiriques de l’album. Il y a cette impression d’un mal rampant, qui contamine progressivement la société allemande. Dans le même temps, les auteurs choisissent d’établir un parallèle entre M et le Nosferatu (1922) de Murnau, sorti quelques années auparavant, et qui porte déjà en son sein l’idée d’une allégorie du national-socialisme.
Un album très réussi, qui montre aussi bien l’influence de la vie de Lang sur sa production (la mort de sa femme) que celle du contexte historique où il s’inscrit.