Johnny Kwan est un fat si, un exorciste taoïste qui exerce au sein de la métropole de Hong-kong. Lui et ses confrères interviennent quand le surnaturel est à l’oeuvre, et dépasse les ressources de la police traditionnelle. Alors que la ville s’apprête à fêter la rétrocession de son territoire à la Chine, Johnny est commandité par Anthony Chau, un riche collectionneur d’antiquités, pour retrouver plusieurs artefacts qui lui ont été volés. Dans le même temps l’un de ses mentors meurt dans des circonstances suspectes, l’exorciste va bientôt découvrir un complot d’envergure, qui pourrait libérer une entité surnaturelle séculaire sur le monde.
D’un côté, je me plains régulièrement que l’urban fantasy peine à se renouveler, toujours à brasser le bestiaire occidental, entre celtisme, et littérature gothique ou horrifique. Le fabuleux Asiatique me semble d’un autre côté un giron sous-exploité, même par les auteurs locaux (il n’y a à ma connaissance peu ou prou de mangas traduits qui se penchent sur cet imaginaire). C’est donc avec un intérêt certain que je me suis enfin lancé dans le lecture de la série de Romain D’Huissier, auteur de jeu de rôle reconnu (Qin, un titre très imprégné de l’imaginaire oriental) que les amateurs de bêtes à crocs un peu âgés ont également pu croiser dans les pages de Vampire Dark News, à l’époque ou le webzine existait sous forme papier. Si je n’avais pas pensé voir atterrir ma chronique ici, plusieurs rencontres faites lors de ma lecture m’ont convaincu du contraire.
Le roman se présente comme la première pierre posée à une série (prévue en trois tomes, le dernier étant sorti il y a peu) de fantaisie urbaine qui quitte les métropoles occidentales (pour ne pas dire Américaines) pour déporter son intrigue à Hong-kong. Un choix idéal, quand on sait ce que le cinéma hongkongais, dans lequel l’auteur puise une part évidente de ses influences, a pu apporter à la reconnaissance internationale de tout un pan du légendaire asiatique. Mais les films de Ricky Lau, voire de Tsui Hark, sont assez éloignés des centres urbains contemporains, souvent situés dans la campagne chinoise (Mr Vampire) ou dans le passé (Détective Dee). Romain D’Huissier propose donc de confronter cette ambiance avec notre ère, à l’heure ou Hong-kong est devenue une extension de la Chine. L’imbrication entre l’occulte et le surnaturel d’un côté, et la vie moderne, les triades et la politique de l’autre est le quotidien même de la cité. Mais si beaucoup d’habitants ont encore un respect poussé des dieux anciens, peu ont réellement conscience de l’existence de la réalité mystique. Ceci étant dit, on comprend facilement que le mix proposé par l’auteur remplira les attentes du lecteur d’Urban Fantasy : les codes sont respectés.
J’ai lu plusieurs critiques pointant certaines faiblesses dans l’intrigue, et force est de constater qu’elles ne m’ont pas choqué outre mesure. Oui, il y a quelques facilités au niveau du déroulement du récit, les enchainements donnent parfois l’impression d’être trop simpliste (et Johnny arrive toujours à trouver LE moyen de venir à bout des obstacles qu’il affronte, le contact idéal au bon moment, etc.). Mais l’univers mis en branle vaut à lui seul le détour, tant il est riche, et montre le potentiel de la série. Romain d’Huissier maîtrise son sujet comme personne, déroule devant le lecteur un imaginaire qui fait franchement du bien.
Concernant les vampires, Johnny Kwan affrontera plusieurs goengsi au cours de son enquête. Connus aussi sous le nom de Jiangshi, il s’agit de revenants en corps animés par un sort puissant… et donc aux ordres de celui qui les a invoqués. À l’image du vampire occidental, ces créatures craignent la morsure du soleil, et se nourrissent d’énergie vitale pour survivre. Mais elles peuvent être tuées, si on les décapite, ou si on les immole. Elles sont également sensibles aux objets chargés d’énergies que manipulent les pratiquants du Tao. La nouvelle bonus du présent ouvrage met quant à elle le personnage aux prises avec une Penanggalan, une entité vampirique issue du folklore malaisien. Elle est représentée sous la forme d’une femme dont la tête (et les intestins qui y sont attachés) se détache du corps, quand la créature part se nourrir. Là aussi, il s’agit d’un être manipulé par un sorcier.
Un premier tome prenant, qui justifie amplement sa lecture par la promesse d’un univers de fantasy urbaine en dehors de l’imaginaire occidental… promesse que l’auteur tient haut la main. Je ne vais pas mettre très longtemps à enchaîner avec les volets suivants. A noter qu’il s’agit d’une réédition poche (pour l’exemplaire que j’ai lu) d’un ouvrage édité (ainsi que ses 3 suites) aux éditions Critic.