En l’an de grâce 1715, le destin du royaume de France (et d’une partie du monde) bascule : le Roy-Soleil se transmute en vampyre. Trois siècles plus tard, le pays vit sur un fragile équilibre. Au sommet de la pyramide, les vampyres de la haute noblesse. En dessous, trois groupes mortels, les hobereaux de basse extraction, les docteurs de la faculté hématique, et enfin les roturiers du quart état. Sylvère est un orphelin qui a bénéficié de l’enseignement d’un jardinier auquel il a succédé. Il officie pour le compte du baron et de la baronne de Torteval, qui l’ont pris sous leur aile. C’est là qu’il a fait la connaissance de Daphné, la lectrice de la baronne, elle aussi orpheline, mais élevée parmi la basse noblesse. Attirés l’un par l’autre, ils sont parvenus à masquer leur attachement aux yeux de leurs bienfaiteurs et employeurs. Jusqu’au jour où La Duchesse de Cocagne fait son apparition sur le seuil du château Torteval, séduite par la beauté des jardins entretenus par Sylvère.
Vampyria Inquisition est une excroissance de Vampyria, une série de Victor Dixen (qui signe ici le scénario) basée dans le même univers. Pour autant, comme le révèlent les premières planches, l’idée n’est pas d’adapter les livres déjà sortis, mais bien d’étendre sa saga au travers d’un autre média : la bande dessinée. Pour ce faire, Victor Dixen (qu’on avait aussi pu croiser ici pour Le Cas Jack Spark) s’entoure d’Eder Messias, un dessinateur brésilien qui a publié quelques pages dans un récent recueil des Filles de Soleil. L’album propose en outre une expérience de réalité augmentée, certaines planches (marquées d’un logo) offrant des animations et effets, lorsqu’elles sont scannées via une application dédiée.
Ce premier album est de bonne facture. On retrouve l’univers des romans, mais on s’intéresse à un autre niveau de la société : la noblesse mortelle, le quart état, ainsi que les inquisiteurs, bras armés de l’aristocratie vampyrique. L’ambiance est indubitablement gothique, les personnages conduisant le lecteur de châteaux en ruines, de jardins décorés jusqu’au cœur de cryptes oubliées. Si l’axe principal de l’histoire n’a rien de très novateur, et en appelle notamment à des récits comme Roméo et Juliette, les protagonistes sont adroitement campés. Certains semblent plutôt manichéens dans leur approche (Sylvère, La Duchesse de Cocagne), d’autres sont d’emblée plus nuancés (Faustin Torteval). D’autres encore, paraissent surtout être là pour servir de faire valoir, le temps de placer les véritables personnages centraux et leur donner des objectifs. Ce qui n’enlève, qui propose une lecture dynamique, et suscite assez d’intérêt pour avoir envie de suivre ce qui va se passer dans le tome 2.
Le dessin d’Eder Messias est à n’en pas douter un des points forts de l’album. On pense un peu, à découvrir les planches de cet album, à l’école italienne et des gens comme Barbara Canepa. Pour autant, le trait est plus réaliste, et la maîtrise des codes gothiques permet à l’illustrateur d’imposer sa marque. Le style est homogène, les cadrages savent s’affranchir des cases. L’ensemble est assez efficacement renforcé par les couleurs de Giulia Priori, qui parvient à insuffler une ambiance en phase avec le dessin, aussi bien dans la lumière du jour (les scènes qui se déroulent dans les jardins) que lors des scènes de nuit, qui prennent le dessus dans la deuxième partie de l’ouvrage.
Fidèle aux romans de Vampyria, ce premier opus exploite les caractéristiques vampiriques établies par Victor Dixen. À commencer par l’idée que la haute noblesse et les vampyres se confondent désormais. Ils veillent à limiter la création de nouveaux vampires et l’usage de la magie du sang, s’appuyant pour cela sur les Inquisiteurs (eux-mêmes des vampires). La transformation, qui nécessite qu’un mortel boive du sang de vampyre au moment de son trépas, leur confère des pouvoirs particuliers, différents d’un individu à un autre. Ils peuvent être tués si on leur enfonce un pieu en plein cœur, où s’ils sont décapités.
Un premier opus relativement prometteur, qui propose autre chose que la série mère tout en s’inscrivant dans son univers.