La couleur blanche la plongeait dans des délires de pureté, où le Propre, le Vierge, et l’Innocent, creusaient dans son imagination des reliefs paradisiaques. Dès le début de son veuvage, en Algérie puis en France, elle conçut son petit univers en blanc. Très vite, cette fantaisie tourna à l’idée fixe qui vira au dogme le plus inamovible. Où il est question d’une odieuse vieille dame, de sa voisine, d’un chat blanc, d’un vampire frénétique, d’un chat noir, et d’un hommage à Gabrielle Wittkop.
Ce que j’aime, avec les romans de vampire, c’est quand justement le vampire n’est pas utilisé au premier degré, mais érigé en tant que symbole, voire quand il intervient relativement à certaines de ces caractéristiques, plutôt qu’il soit un pâle héros torturé-mal-dans-sa-peau-mais-gentil comme il en fleurit depuis quelques temps. La novella de Gérald Duchemin est totalement dans cette optique. Car le vampire, s’il intervient ponctuellement tout au long du récit ne se révèle réellement à l’attention du lecteur qu’à la toute fin du récit, laissant planer le doute au fil de l’intrigue sur son impact réel sur la trame principale.
Le « héros », ou plutôt l' »anti-héros », est en effet une vieille dame qui a poussé son obsession jusqu’à en faire l’axe central de toute sa perception du monde. Madame Harfang est en effet atteinte d’une véritable passion pour le blanc, qui va de sa manière de manger (uniquement de la mie, des navets, des salsifis, etc.) à la nécessité de recouvrir chaque objet de son appartement de cette même couleur, même s’il faut pour cela laisser de côté l’aspect pratique. Cette obsession pour le blanc va, bien entendu, avec une véritable haine pour tout ce qui ne rentre pas dans sa norme, ce qui fait de Madame Harfang un véritable archétype du racisme primaire.
L’histoire va ainsi nous permettre de suivre les pas de cette vieille dame pas franchement sympathique, ni pour le lecteur, ni pour ceux qu’elle cotoient, qui éprouvent tantôt de la peur, tantôt de l’exaspération tantôt un besoin de revanche face aux manières du personnage. Un personnage qui va finir par faire rentrer dans sa vie un nouveau compagnon (blanc, bien entendu) pour le moins inattendu.
Vampiriquement, on hésite durant la plus grand partie du recueil entre actes d’un criminel humain ou exactions d’une créature fantastique. Le « vampire » de l’histoire semble en effet éprouver un besoin crucial de s’abreuver de sang humain, tout particulièrement du sang des vieilles dames, à l’image d’un vin qui aurait vieilli. On apprendra également que ce « vampire » possède certains dons de transformation, qui le rendent capable de se faire passer pour ce qu’il n’est pas.
Rattrapé par son obsession, Madame Harfang finir en effet par être confronté à quelque chose qui va à l’encontre de son TOC : une créature issue des ténèbres, avide de rouge (le sang). Si on ajoute que le style de Gérald Duchemin est réellement excellent et très riche, l’auteur faisant preuve d’une maîtrise de la langue qui donne un certain lyrisme à son texte, on tient là un récit des plus original et maîtrisé qu’il m’ait été donné de lire sur le sujet. Initialement publié par le Calepin Jaune, et depuis introuvable, l’ouvrage vient d’être réédite par les Editions du Chat Rouge.