Une nouvelle, nous explique Catherine Dufour, est souvent inspirée d’une image, viennent ensuite se greffer d’autres éléments, comme un thème cher à l’auteur et qui s’accorde bien avec l’image et, pour finir (l’embryon de l’idée de la nouvelle) et commencer (à écrire), le style qui correspond.
A propos de style, Catherine possède plus d’une plume et sait user de chacune à merveille, maîtrise dont L’Accroissement mathématique du plaisir (recueil préfacé par Brian Stableford et muni d’une illustration de couverture congrue de l’excellent Caza) est la démonstration.
L’image de « Je ne suis pas une légende », nouvelle ouvrant le recueil, c’est le spectacle gris des encravatés qui se déversent, le talon pressé, des immeubles de verre froid, sur le goudron des trottoirs rectilignes. Et si « Je ne suis pas une légende » était une essence ? Elle serait en « platane urbain pourri ».
L’élément qu’ajoute Catherine à son image, ce n’est pas le vampire en soi, mais la reprise de l’idée de Richard Matheson (vous l’aviez deviné) : celle du dernier homme sur terre, survivant au milieu d’une nouvelle race invasive (en l’occurrence, les vampires). Chez Matheson, le survivant devient une légende. Pour le lecteur d’une part, qui le prend pour un héros et pour les vampires d’autre part, pour lesquels il est devenu un être maléfique légendaire et monstrueux qui les assassine par douzaines le jour levé. Mais je soupçonne Catherine d’avoir aussi songé à Will Smith dans la très mauvaise adaptation du livre de Matheson, qui interprète vraiment un héros à la sauce américaine.
Face à cela, notre auteur se serait demandé ce qu’elle, ce que la plupart des gens ferait à la place de Super Will. Serions-nous des héros, serions-nous des légendes ? Ou volerions-nous des boîtes des conserve dans les grandes surfaces abandonnées, sirotant la nuit tombée un Veuve-Clicquot en dégueulant par intermittences le bad trip de la veille. La vision la plus intéressante et aussi la plus drôle de cette nouvelle est certainement celle construite sur l’image inspiratrice, celle d’une population grisâtre et somnambule de cadres en cravate ne se rendant même pas compte de leur transformation en vampire, zombifiés qu’ils sont par le suivi de leurs actions, se réjouissant simplement de la montée en bourse de Bloodwash ou ToothGlimp.