Mona, jeune éditrice, est contactée par une certaine Mademoiselle Karnstein, qui souhaite lui raconter sa vie. Ancienne étudiante en littérature, le nom de la jeune femme n’est pas inconnue de Mona. N’a-t-elle pas fait son mémoire de fin d’études sur le Carmilla de Sheridan le Fanu ? Progressivement, celle qui affirme être la figure de vampire qu’on croyait inventée par l’écrivain irlandais dévoile une tout autre histoire. Et si Carmilla n’était pas la corruptrice décrite dans le récit d’origine ?
Pour son premier roman, Orlane Escoffier se frotte à un des jalons de la littérature fantastique, à savoir le Carmilla de Le Fanu. Un des textes qui, aux côtés du Vampyre de Polidori et du Dracula de Stoker, contribuèrent à forger l’image classique du vampire littéraire. L’autrice mêle ses influences pour aboutir à un ouvrage d’une noirceur palpable, qui penche vers un certain romantisme noir. Mais en procédant à une mise en abyme, le fil rouge du récit étant l’interview de Carmilla par une éditrice, elle fait dans le même temps un pont avec le Entretien avec un vampire d’Anne Rice. La trame joue de la forme écrite, et peut également rappeler Les Confessions de Dracula de Fred Saberhagen, où Dracula raconte sa version des faits, et donne une toute autre lecture de l’histoire. À l’ombre du texte original, l’autrice opère ainsi une exploration aux multiples facettes du livre de Le Fanu.
L’histoire ne se limite pour autant pas à bousculer les certitudes du Carmilla de Le Fanu. Orlane Escoffier, imprégnée de son mémoire universitaire, à cœur de proposer des portraits de femmes hybrides. Quand débute le récit, Carmilla n’est pas encore vampire, mais elle découvrira au fil du texte que son avenir était tout tracé. Porteuse d’un lourd héritage, elle connaîtra enfin l’amour dans les bras de Laura… avant que le destin ne la rattrape brutalement. Entre les deux femmes, la passion va naître. Mais elle regorge de non-dit, de vérités dissimulées, à commencer par la teneur réelle de la relation entre Laura et son père. De fait, si l’Histoire est écrite par les hommes, ce sont les femmes qui en sont les actrices. Dans un monde où perpétuer son nom est une obsession, les personnages féminins ne peuvent que compter sur eux-même pour assurer leur survie.
En s’inspirant de Carmilla, l’autrice colle au plus près des codes du vampire littéraire. Ainsi, Millarca, une fois devenue vampire, éprouve une soif de sang insatiable, qu’elle apprend en partie à canaliser. Mais l’autrice fait quelques écarts avec le récit original, décrivant des créatures qui vivent la lumière du soleil comme une morsure. Enfin, elle s’intéresse à la manière dont les vampires gèrent leur mémoire, manière à expliquer comment ils peuvent faire face à leur longévité sans perdre leur santé mentale.
Un premier roman très réussi, qui offre une relecture intelligente (sur le fond comme sur la forme) d’un des textes fondateurs du vampire littéraire. Tout n’est pas parfait (les personnages manquent parfois de profondeur), mais le résultat n’en est pas moins efficace.