Vampire est un mot qui fait aujourd’hui pleinement partie du paysage médiatique, à la fois star de la fiction, qualificatif auquel la presse a recours pour désigner certains criminels… Les sens conférés au terme sont nombreux, et même quand il s’agit de s’intéresser à la figure imaginaire, difficile de considérer celle-ci comme clairement délimitée. L’écart est en effet grand entre Dracula et le personnage incarné par Mathilda May dans le film de 1985 Lifeforce (pour donner un exemple extrême). Retournant à l’époque de la genèse du mot, Arnaud Esquerre propose d’analyser les utilisations du vocable et son évolution. Pour ce faire, il s’appuie autant sur un corpus de texte choisi que sur la mise en parallèle du mot avec des problématiques comme le devenir des restes humains, le genre fantastique ou encore la censure.
Arnaud Esquerre est sociologue et directeur de recherche au CNRS. Si Ainsi se meuvent les vampires est sa première étude longue sur la figure du vampire, ce n’est pas la première fois que l’essayiste s’y intéresse. Comme il le détaille lui-même dans les Remerciements de l’ouvrage, le déclic se fait après avoir été convié à écrire pour le catalogue de l’exposition Vampires de la Cinématique française. On retrouve d’ailleurs au fil d’Ainsi se meuvent les vampires des éléments de réflexion déjà présents dans «Le cercueil et la morsure», l’article qu’il avait signé dans le catalogue en question. On y peut notamment y déceler les germes de la dernière partie de l’essai, jusqu’au titre Faire peur, faire rire, faire jouir.
Avec cet essai, Arnaud Esquerre est au croisement de la sociologie, de la sémantique ou encore de la linguistique. S’appuyant sur un corpus qui s’étend de Calmet à Twilight, il met en lumière l’évolution du sens du mot vampire, montrant et interrogeant les sources de ces mutations. Le chercheur s’intéresse tout particulièrement au rapport entre morts et vivants, depuis la peur des enterrements prématurés jusqu’à l’étrange relation qui se fait entre le vampire et sa victime. Relation au sein de laquelle l’identité du mort et du vivant change en fonction qu’on soit face à un vampire de fiction ou un criminel. Successivement, on voit ainsi le vampire désigner un revenant un corps, une espèce au sens géologique, un meurtrier et/ou un nécrophile, et enfin une créature de fiction. Jusqu’à ce que les acceptions ultérieures du terme cristallisent l’ensemble de ces sens. Le vampire de littérature et de cinéma (notamment) est connu pour synthétiser les caractéristiques de ses prédécesseurs, mais l’essai d’Arnaud Esquerre nous ouvre un autre champ des possibles pour explorer cette agrégation.
Le chercheur spécialiste du sujet pourra pointer ci et là quelques assertions, contestables, par exemple l’enchainement ayant abouti à l’interdiction de Nosferatu. Comme le dit Dacre Stoker dans un récent article publié en anglais, il n’existe aucune preuve que Grau et Murnau aient demandé au préalable à Florence Stoker d’adapter le roman. Le personnage du vampire psychique Colin Richardson, ici mentionné comme présent dans le film et la série What We Do in the Shadows, est un ajout de la série. J’ai également un problème à faire de la fiction vampirique un genre littéraire à part entière. Concernant le corpus, j’aurai enfin aimé voir convoquer d’autres médias, à commencer par le jeu de rôle, le jeu vidéo, la musique… qui ont de mon point de vue une place souvent sous-estimée dans la construction du sens du vampire. Pour autant, aucun de ces éléments ne vient mettre à mal l’argumentaire du sociologue.
Un ouvrage relativement pointu dans son approche, mais qui reste accessible à ceux qui cherchent à approfondir les multiples facettes recoupées par la figure du vampire, notamment dans ce quelle suscite comme effet. L’auteur en profite pour confronter son analyse avec des sujets qu’il a déjà étudiés par le passé, tels que la censure (Interdire de voir, 2019), le récit fantastique (Théorie des événements extraterrestres, 2016), le rapport de l’homme avec les restes humains (Les os, les cendres et l’Etat, 2011).