Paris, 1804. 5 ans ont passé depuis le XVIII Brumaire, et Napoléon Bonaparte règne sur le pays, en tant que Premier Consul. Dans l’ombre, les restes de la chouannerie fomentent un assassinat, mais deux de ses leaders, dont le général Pichegru, sont arrêtés. Reste George Cadoudal, qui semble se terrer et passe entre les mailles de la police. C’est dans ce contexte que plusieurs disparitions mystérieuses de riches étrangers surviennent, et que le nom de La Vampire commence à faire parler de lui, en ville. C’est également à ce moment-là que le quai de Béthune devient un endroit connu pour ses pêches miraculeuses. Et c’est le long de ce dernier que Gâteloup, héros du roman La chambre des amours, va se retrouver à filer Angèle, sa belle-fille, elle-même à la poursuite de René de Kervoz, sont promis. Lequel semble s’être fait tourner la tête par une noble au comportement pour le moins trouble.
La Vampire, publié pour la première fois en recueil avec La Chambre des Amours (qui met également en scène Gâteloup) sous le titre Les Drames de la Mort, est un des trois textes que Féval consacré aux vampires, sur une période allant de 1860 (Le Chevalier Ténèbres) à 1867 (La Ville-Vampire). Si Le Chevalier Ténèbres en appelle au récit de bandits de grands chemins, et La Ville-Vampire au roman gothique, La Vampire a une assise plus historique. L’Histoire avec un grand H est en effet particulièrement présente dans ce récit situé à quelques mois du couronnement de Napoléon 1er. En effet, les différents protagonistes gravitent autour des projets d’attentat des derniers chouans, bien décidés à entraver l’ambition de Napoléon et rétablir la royauté. Mais La Vampire joue un rôle trouble dans ces projets, et ses alliés du moment semblent surtout présents pour lui faciliter la tâche.
Si La Ville-Vampire reste mon préféré des trois récits vampiraux (pour détourner le terme de Féval) de l’auteur, La Vampire n’est pas forcément très loin derrière. L’ancrage historique est passionnant, l’auteur choisissant de crédibiliser sa trame en l’articulant avec des faits précis et connus du Consulat. Certes, le lecteur d’aujourd’hui trouvera sans nul doute que le feuilletoniste (même si ce texte n’a pas été publié sous cette forme) a la digression facile, mais Féval n’en fait pas moins preuve d’une bonne maîtrise du rebondissement et de la mise en scène. D’emblée, il pose son décor, autant d’un point de vue géographique (le quai de Béthune) que de l’ambiance, convoquant (une fois de plus) Ann Radcliffe et la figure du vampire. Si c’est bien l’idée du complot qui domine (que ce soit au travers de la duplicité de la Comtesse Marcian Gregoryi, ou des projets des ennemis de Napoléon), passages secrets et autres cadavres abondent dans le récit.
Le lecteur déjà au fait des son précédent fait d’armes sur le sujet remarquera au passage que l’auteur se plaît à distiller des références, car l’idée d’une société criminelle qui agirait sous un nom comme La Vampire est mentionnée telle quelle dans les premiers paragraphes du Chevalier Ténèbres. Les buveurs de sang sont par ailleurs bien plus détaillés dans le présent texte que dans le précédent. S’il ne va pas aussi loin dans l’originalité que pour sa Ville-Vampire, Féval imagine un couple de vampires atypiques : elle, susceptible de prolonger son existence en s’accaparant la chevelure de victimes féminines. Son compagnon vampire, le comte Szandor, s’abreuve quant à lui d’or, insistant sur le sang que l’obtention de larges sommes ne manque pas de faire couler. Mais tous deux peuvent être détruits, pour peu qu’on leur enfonce un pieu de fer rougi à la flamme en plein coeur. À noter, également, que s’il ne mentionne jamais le nom de Dracula, Féval s’approche fortement de ce dernier, les deux personnages vampiriques étant des contemporains de Mathias Corvin, sachant que le premier mari de la comtesse est présenté comme un «voyvode célèbre et puissant». Au détour du texte, l’amateur éclairé risque d’apprécier de dénicher une citation d’un vers bien connu de Burger : «les morts voyagent vite«. Ainsi, bien avant Stoker (mais après Raupach qui en a repris un autre vers pour le titre de son Laisse dormir les morts), Paul Féval convoquait la Lénore dans un texte d’obédience vampirique.
Un récit beaucoup plus long que les autres textes vampiriques de Féval, ce qui se justifie sans nul doute par son ancrage historique fort (même si l’auteur s’en défend en préambule). Si les vampires mis en scène n’ont pas autant d’attributs originaux que ceux de La Ville-Vampire, l’ensemble est relativement intéressant dans sa manière de revisiter l’époque du Consulat sous un angle (voire une ambiance) fantastique.