À quelques encablures de Paris, en 1825, les soirées organisées par Monseigneur de Quélen attirent la haute société. On y raconte à tour de rôle des histoires où tour à tour fantômes et brigands sont au-devant de la scène. À la faveur d’une de ses soirées, deux frères venus d’Europe de l’Est, les Altenheimer, prennent la parole pour narrer l’étrange histoire des Frères Ténèbres, deux brigands dont l’un serait eupire, mangeur de chair humaine, et l’autre vampire.
Le Chevalier Ténèbre de Paul Féval est chronologiquement le deuxième récit de l’auteur où un vampire est mis en scène. Publié en 1860, il a ainsi été combiné avec La Ville-Vampire (sorti en 1875) sur plusieurs éditions, notamment celle de Marabout. Mais il n’y a aucun lien entre les histoires des deux textes, sinon mention de l’existence de vampires dans la campagne de Belgrade, où Féval situa quelques années plus tard sa ville-vampire. On y trouve aussi ce recours que semble apprécier l’auteur au récit enchâssé, mais de manière plus complexe que ce qu’il utilisera dans son roman mettant en scène Ann Radcliffe. Ici, le lecteur sera confronté à pas moins de trois niveaux d’enchâssement, l’auteur faisant remonter la narration par la suite tout en faisant communiquer (par le biais de personnages communs) les différents niveaux de narration. D’un point de vue de la structure, Le Chevalier Ténèbre est donc redoutable.
Pour autant, malgré le style fluide et la maîtrise des rebondissements de l’auteur (même si le lecteur a lui-même assez vite des doutes quant à la probité de certains des personnages principaux), j’ai bien moins aimé ce roman que le suivant. Le vampire semble ici davantage accessoire, un moyen de faire se rencontrer deux genres : le récit fantastique et le récit de brigand. Mais hormis pour semer le doute sur l’essence de la fratrie que sont Jean et Ange Ténèbre, jamais la part vampirique de ce dernier n’est réellement utilisée.
De fait, les caractéristiques vampiriques convoquées dans ce court roman (là aussi, une centaine de pages, comme La Ville-Vampire) sont minces. Le baron Altenheimer, dans son récit, présente l’un des deux frères comme un eupire, un mangeur de chair humaine (une goule ?), l’auteur comme un vampire, buveur de sang. On sait que tous deux se réfugient régulièrement dans leurs tombes, dont l’emplacement est connu. Mais c’est surtout au niveau du contexte de présentation du duo qu’il y a des choses intéressantes à pointer. Les vampires semblent ainsi pulluler dans la région de Belgrade, et des noms comme ceux de Jean Hunyadi et Mathias Corvin sont mentionnés. Sachant que ces deux personnages historiques sont reliés au Dracula historique.
Le Chevalier Ténèbre est, nous l’avons vu plus haut, le deuxième texte où Féval convoque la figure du vampire. Nettement moins détaillé et inventif à ce niveau que La Ville-Vampire, ce court roman n’en est pas moins très bien construit, tout en jouant la carte du mélange des genres (et en intégrant cet aspect au sein même du récit). Pas vraiment emblématique pour la mise en situation d’un buveur de sang, mais plusieurs détails annoncent son roman autour d’Ann Radcliffe, voire semblent appeler, dans l’ombre, Dracula.