Jacques Finné et Jean Marigny ne sont pas, loin s’en faut, des inconnus pour les amateurs de littérature vampirique. Le premier est un traducteur rompu aux littératures de l’imaginaire, à qui l’ont doit notamment une traduction de Dracula (1979) qui fait encore référence de nos jours. En 1986, il sort une Bibliographie de Dracula qui demeure un des ouvrages importants parmi les études francophones autour de la figure du comte. Jean Marigny, quant à lui, est LE spécialiste français de la figure du vampire. Depuis sa thèse en 1983, il a publié pléthore d’ouvrages autour des buveurs de sang, parmi lesquels Sang pour sang : le réveil des vampires (1992) maintes fois traduit et réédité. Les deux auteurs ont déjà sévis ensemble, autour d’anthologies comme Les Femmes vampires (2010) et Histoires de Femmes Vampires (2019). Le duo a ainsi une maîtrise complémentaire et approfondie de l’histoire du vampire littéraire, depuis ses premiers balbutiements jusqu’à nos jours.
L’exercice du dictionnaire, quand on le rapproche du vampire en tant qu’icône culturelle, a déjà fait l’objet d’un Dracula, le lexique du vampire (Alain Pozzuoli, 2005), réédité en 2010 sous le titre La Bible Dracula. Dictionnaire du vampire. Mais l’auteur (qui signe d’ailleurs la préface du présent ouvrage) s’intéressait avant tout à Dracula et à sa fortune médiatique. Il n’était en effet pas question d’un ouvrage exhaustif sur les vampires de fiction en tant que tel. La tâche est ambitieuse, et dès la préface, Finné et Marigny veillent à définir les limites de leur approche : ils se cantonnent essentiellement à ce qui a été traduit, et laisse de côté la littérature jeunesse (qui représente ses dernières années une grosse part du corpus). De même, c’est davantage le vampire classique et humanoïde qui accapare l’ouvrage : les vampires psychiques et entités vampiriques végétales sont – sauf rares exceptions – laissés de côté.
Malgré ces œillères (il faut bien faire des choix), les auteurs proposent un ouvrage relativement complet, où leurs spécialités se complètent au mieux. L’ensemble alterne entrées auteurs (avec biographie et bibliographie qui détaillent les apports vampiriques et l’état de publication des séries et romans) et articles de fond. Ces derniers offrent ainsi au duo de détailler certains aspects connexes de leur sujet, comme la bande-dessinée (un goût de trop peu à ce sujet, cependant, mais un ouvrage serait nécessaire sur ce seul média), le récit policier, etc. Mention spéciale, à ce titre, sur les articles qui explorent la production étrangère au regard de ce qui est traduit (ou mériterait de l’être), particulièrement pour l’édition allemande et italienne. Sur cette même lancée, les auteurs proposent également une exploration du vampire au théâtre ou encore en science fiction, dans le jeu de rôle… Il n’est pas question ici de dresser un portrait de l’évolution de la créature dans ces différents segments, mais bien de pointer les oeuvres importantes et les approches principales.
Pour ce qui est des entrées auteurs, il y a une ambition tangible de fraîcheur (un comble vu le sujet). Si Anne Rice, Fred Saberhagen (pour les plus incontournables) ont des entrées dédiées, il en est de même pour pléthore d’auteur de bit-lit (et affiliés), de Patrica Briggs à Gail Carriger, en passant par Jeaniene Frost. Les francophones ne sont pas oubliés, et les noms de Marika Gallman, Stéphane Soutoul, Ambre Dubois, Jean Vigne ou Nathy bénéficient d’entrées aussi détaillées que leurs homologues anglo-saxons. Les auteurs de pulp et de littérature XIXe ne sont également pas laissés de côté, et on croise aussi bien H.P. Lovecraft que E.F. Benson, en passant par Hugh B. Cave et Manly Wade Wellman.
Malgré tout, le livre n’est pas exempt d’imprécisions ou d’erreurs. Ainsi les bibliographies de certains francophones, comme Stéphane Soutoul ou Jean Vigne, sont incomplètes sur le sujet. Certains auteurs, dont la production est pourtant notable sur le sujet manquent à l’appel : Sophie Jomain, Mathieu Guibé… Concernant les auteurs et œuvres traduites, même constat : le dernier tome sorti pour La Chronique des Immortels de Wolfgang Hohlbein est loin d’être le dernier disponible en langue allemande, même si l’éditeur français (L’Atalante) ne semble pas enclin à poursuivre (Les Maudits, le dernier en date, a été publié en 2011, alors que le dernier en VO, Dunkle Tage, date de 2017). Les romans de Jack Yeovil (pseudonyme de Kim Newman) ont bien été traduits en français (chez Bibliothèque interdite), et sont au nombre de 3, pas 4. Concernant l’article BD, les auteurs font remonter l’arrivée de Dracula dans le comics avec Tomb of Dracula. Or le personnage n’a pas attendu la série qui le met en scène sous les traits de Jack Palance pour mettre un pied dans la BD américaine. On peut également pointer l’absence totale de mention de la production manga, alors que des séries de bd franco-belge et comics sont listées.
Au final, Jacques Finné et Jean Marigny proposent un ouvrage riche, où entrées encyclopédiques et auteurs se complètent au mieux. L’ouvrage est joliment mis en page, dense (384 pages) et offrira matière aussi bien à ceux qui ont exploré en profondeur le sujet (par les ouvertures des articles, notamment) qu’aux néophytes à la recherche d’un guide littéraire sur le sujet, capable d’indiquer les auteurs à lire et de dessiner les principaux sous-ensembles thématiques.