Acteur d’origine hongroise, Bela Lugosi est resté dans les mémoires pour son interprétation de Dracula. S’il a dans un premier temps joué le comte au théâtre, campant le personnage dans la version américaine de la pièce, c’est lorsque celle-ci est adaptée sur grand écran que Lugosi explose à la face du monde. Sous les caméras de Tod Browning, il devient le premier Dracula officiel (Max Schreck est déjà passé par là dans le Nosferatu de Murnau) du septième art. Un rôle qui semble avoir dans le même temps jeté une malédiction sur l’acteur, incapable de se séparer du personnage, et qui finira sa vie en clamant son immortalité (et son identification avec Dracula). Edgardo Franzosini, auteur et traducteur italien, s’est attaqué dès 1998 à une analyse de la carrière de Lugosi : Bela Lugosi. Biographie d’une métamorphose, qui arrive enfin en français par l’entremise des Éditions La Baconnière.
Bela Lugosi, premier acteur à avoir subi la malédiction de Dracula sur grand écran, méritait bien qu’on se penche sur son cas. Cet ouvrage, sorti en 1998, a été un des premiers à faire la lumière l’homme de spectacle hongrois, l’accent étant jusque-là plutôt mis sur Tod Browning. Si la fin de carrière de Lugosi montre qu’il est victime du personnage (autant par ses reprises de la cape dans des comédies que par ses addictions), revenir au moment où il quitte la Hongrie et finit par arriver aux États-Unis ne manque pas d’intérêt. J’aurais aimé en savoir plus sur son enfance et son implication syndicale (en partie responsable de sa fuite originelle), Edgardo Franzosini propose néanmoins un axe intéressant, se consacrant surtout à l’acteur et sa manière d’interpréter ses personnages. On parle en effet d’une figure de théâtre dont la pratique tient pour beaucoup sur sa gestuelle. Le passage devant la caméra, associé à son reliquat d’accent d’Europe de l’Est, en faisait un des choix parfaits pour le rôle de Dracula, d’autant que Browning adapte la pièce (dans laquelle jouait Lugosi à Broadway). On croise donc John Balderston, Tod Browning, et l’auteur lève le voile sur le monde du spectacle américain des trente premières années du vingtième siècle. L’ensemble est certes court, mais bien écrit (et traduit).
J’aurai juste un bémol quant à certaines assertions, pour lesquelles il me semble manquer un certain sens du sourcing. Quand Franzosini parle d’échanges épistolaires entre Lugosi et la veuve de Stoker, dans le but de revoir à la baisse les droits d’adaptations de la pièce à l’écran, l’auteur évacue à mon sens bien rapidement tout devoir de fournir des preuves (les lettres ont disparu avec le dernier héritier Stoker). J’ai eu l’occasion d’interroger Dacre Stoker sur le sujet, et il n’a jamais entendu parler d’un tel échange. D’autant que Lugosi n’était pas le premier choix de Browning. Pour autant, l’auteur donne aussi la voix à certaines personnalités inattendues, comme Jean Boullet, co-fondateur de Midi-Minuit Fantastique (et réalisateur d’une version de Dracula en ombre chinoise dont on a pu revoir des rushes grâce à Nicolas Stanzick)
Pour ce qui est du vampire, l’auteur montre bien en quoi Lugosi est une étape cruciale dans l’évolution de la créature sur la scène. Le frac, la cape, la brillantine sont des artifices que Lugosi employait au théâtre quand il incarnait le comte, c’est donc tout naturellement qu’on les retrouve sur grand écran. Ce faisant, ils diffèrent du roman d’origine, mais ne s’en sont pas moins imposés sur la majeure partie des œuvres qui ont suivi, particulièrement les adaptations du livre de Stoker (ou de la pièce de théâtre, qui semble avoir plus servi de matière première que le texte original).
Un petit ouvrage court et qui ne manque pas d’intérêt, malgré quelques assertions qui auraient mérité d’être prouvées. Les Éditions de la Baconnière n’en ont pas moins fait un joli travail d’édition, l’objet étant pourvu d’une maquette sobre, mais très réussie.
Tiens ! Il est sorti avant la date prévue (le 10 janvier) ?
Merci pour cet aperçu fort alléchant.
Le seul interprète de Dracula à être né et à avoir vécu sur l’actuel territoire roumain.
A avoir été imprégné durablement par les traditions et les croyances populaires.
Et le seul à être crédible à mon sens en tant que tel.
Sans lui, parlerait-on encore autant du personnage de Stoker aujourd’hui ?
Pas si sur.
Il suffit même de lire le roman pour en être convaincu.
Car il a si fortement imprégné l’imaginaire collectif de sa griffe, à travers les codes qu’il a lui-même définis et fixés sur la pellicule, qu’il s’est purement et simplement approprié le personnage.
Mais est-ce si étonnant de la part d’un tel homme ?
N’oublions pas non plus qu’il avait tout de même quinze ans lorsque le roman à été publié.
Jeune homme, il était déjà en quelque sorte, contemporain de l’oeuvre, de l’esprit du temps qui était le sien.
Il en a d’autant plus saisi l’essentiel qu’il avait déjà bien roulé sa bosse à cet âge-là, à une époque où l’on devenait adulte bien avant l’heure.
D’ailleurs, christopher Lee (pour ne citer que lui) ne fera que reprendre (non sans brio) le personnage inventé par Lugosi, mais (les nuances de jeu mises à part) avec un côté « so British » qui sonnera hélas si faux à mes yeux (ouille !) qu’il ne peut y avoir de comparaison possible entre les deux acteurs.
Et ne parlons pas des interprètes suivants…(hem !).
Enfin, à chaque époque les héros (ou anti-héros) qu’elle mérite.
Les modes passent et bela Lugosi (non sans un certain sourire de sa part j’en suis persuadé) demeure sans broncher le gardien du Temple.
Je vais sans tarder me jeter sur ce livre.