L’histoire débute avec une jeune femme qui s’éprend d’un roi, et accepte le mariage que celui-ci lui propose. La nouvelle reine doit cependant composer avec la fille du monarque, née d’une précédente union. Dès leur première rencontre, elle comprend que sa belle-fille n’a rien d’humain, et que seul le sang est en mesure de la sustenter. Si elle parvient à la repousser, son époux dépérit rapidement, jusqu’à être conduit à la tombe. Son corps amaigri porte d’innombrables morsures. Devant l’évidence, la reine désormais veuve décide de faire le nécessaire pour mettre un terme à cette menace hors du commun.
Avant d’être un comics, Blanche-Neige, Rouge Sang : chronique vampirique est une nouvelle de Neil Gaiman, sous le titre de « Neige, verre et pommes » (VO : « Snow, glass and apples »), parue initialement en 1995, dans une édition illustrée par Charles Vess. Chez nous, le texte a déjà été traduit dans les pages du fanzine UPNT, avant d’être repris dans différents recueils (dont l’anthologie Eros Vampire 2, dirigée par Poppy Z. Brite). La dessinatrice Colleen Doran n’en est quant à elle pas à sa première publication. Elle a fait ses débuts sur la série Le Pays des elfes de Richard et Wendy Pini, et a depuis travaillé pour DC Comics, puis Marvel. Elle n’en est pas à sa première collaboration avec Neil Gaiman, ayant officié sur un des arcs de Sandman. Cette adaptation a valu à l’album le prix Bram Stoker du meilleur roman graphique, en 2019.
Gaiman transpose avec brio son texte, relecture audacieuse du conte Blanche Neige, rendu célèbre par les frères Grimm puis par Perrault. L’idée du renversement, qui fait de la reine une figure positive, face à la fille du roi, créature avide de sang, est la force de ce récit. Gaiman y montre toute sa connaissance des mécanismes et des rouages da la trame de départ, en jouant avec les poncifs de celui-ci : le trio entre le roi, sa fille et la belle-mère de cette dernière, le motif de la pomme, les nains… Mais l’auteur s’amuse des contrastes et des effets en négatif. La reine devient un narrateur et une figure positive, protectrice du peuple. Les nains sont présentés de manière beaucoup plus ambigüe et dérangeante. Tout comme le personnage du prince, qui sera à l’origine de la libération de Blanche-Neige. Les scènes emblématiques de l’histoire originale sont ici revues et corrigées par Gaiman, même si parfois sous forme quasi elliptique (comme celle du cercueil de cristal). C’est clairement un récit qui donne le pouvoir aux femmes, les hommes apparaissant bien ternes en regard.
Le style de l’illustratrice joue de cet effet de miroir permanent. Le personnage de la reine est présenté de façon beaucoup plus lumineuse que Blanche-Neige, plus en contraste, entre le blanc immaculé de sa peau et ses lèvres rouges. Graphiquement, on est quelque part entre Mucha, les préraphaélites et des enluminures.
Blanche-Neige y est une figure vampirique, qui finit par avoir raison de l’existence de son propre père. Elle révèle ce qu’elle est à la reine lors d’une scène de morsure qui ne laisse pas de doute quant à son attirance pour le sang. Le protagoniste paraît évoluer essentiellement la nuit. À partir du moment où son cœur lui est retiré, la reine se sent en sécurité. Mais devant l’influence persistante de sa belle-fille, elle se décide à agir de nouveau. Il y a une dimension sexuelle sous-jacente indéniable dans le personnage, et en même temps l’idée d’une rivalité féminine, déjà avec le roi, puis avec le prince.
Cette adaptation de la nouvelle de Neil Gaiman a beau être courte, elle s’avère intéressante autant pour son parti-pris graphique que pour matérialiser cette relecture inventive et maîtrisée du conte original. L’auteur nous fait nous interroger sur la question du point de vue, mettant à mal la morale originale.