À l’été 1944, la région du Banat, en Serbie, est sous domination allemande. La population germanophone locale, bien que minoritaire, a pris l’ascendant. La résistance est néanmoins bien présente, et le nom de Nada la Noire sème l’effroi autant chez les soldats qu’au sein des habitants. La mystérieuse figure de proue des partisans laisse derrière elle une piste rouge : on dit qu’elle s’abreuve du sang de ceux qu’elle tue. Pendant ce temps, en France, Tristan Marcas est tombé aux mains de la Milice, qui s’apprête à le fusiller. Pour autant, la chance lui sourit une fois de plus, et il parvient à s’échapper pour la Suisse, où il espère retrouver Laure. Mais la jeune femme a disparu depuis plusieurs mois, et elle serait dans un Lebensborn, aux mains des nazis. Pour sauver celle qu’il aime, Marcas va à nouveau faire face à Himmler, alors que le régime allemand vacille. Le haut dignitaire compte sur le français pour l’aider à trouver le Graal du Diable, une relique dont l’histoire croise celle d’une figure célèbre du XVe siècle roumain : Vlad Tepes, plus connu sous le nom de Dracula.
Le Graal du Diable est le troisième volet du deuxième cycle de la saga du Soleil Noir, après Résurrection (2021) et 669 (2022). Après les Templiers et les Sorcières, le duo d’auteurs s’intéresse à Vlad Tepes (et son lien avec la figure du vampire) et à la Légende du Graal. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les vampires paraissent dans les écrits des deux romanciers. J’avais eu l’occasion de chroniquer L’Empire du Graal, qui voyait déjà se croiser la relique mythique avec la figure du vampire. Reste que le recours aux buveurs de sang était rapidement évacué dans cet opus, pour se tourner vers une histoire plus purement ésotérique. Le Graal du Diable offre ainsi aux auteurs de se pencher à nouveau sur le sujet par l’entremise du père du héros de L’Empire du Graal, l’antiquaire Tristan Marcas.
Le texte fait avancer plusieurs trames en parallèle, à l’image des autres ouvrages de la série. En effet, le lecteur découvre alternativement les périphéries de Tristan Marcas, de Laure d’Estrée sa maîtresse ainsi que celles de Vlad Tepes. Les deux premiers partagent un même espace chronologique, celui de la France de 1944, après le débarquement en Normandie. Le récit de Vlad Tepes se situe quant à lui après que ce dernier se soit vu ravir son trône par son propre frère. On suit donc les pas d’un guerrier avide de revanche et bien destiné à reprendre son royaume, qui cherche une alliance avec sa puissante voisine, Barbara de Cilli.
Je suis habituellement peu attiré par le polar ésotérique, mon avis sur L’Empire du Graal en témoignait. Reste que les allusions à Barbara de Cilli et à Vlad Tepes dans la promotion de ce nouvel opus étaient parvenues à titiller mon attention. Au final, je dois avouer que mon ressenti est plutôt mitigé. D’un côté, les auteurs ont su aller chercher un fond historique moins évident que ce à quoi on pouvait s’attendre. C’est le cas avec Barbara de Cilli et l’histoire de Nada, qui plonge ses racines dans des témoignages concernant les exactions de certains résistants serbes durant la Seconde Guerre mondiale. En croisant ces éléments avec le personnage de Tristan Marcas, et l’ambiance de l’Europe de fin 1944, les romanciers arrivent à construire un récit riche en rebondissements et en action, quelque part entre le Da Vinci Code et Indiana Jones. Ils conservent une certaine approche initiatique, qui se cristallise ici autour de Vlad Tepes. Plutôt à l’aise avec la recherche historique, Giacometti et Ravenne parviennent à faire œuvre de fiction tout en essayant de coller aux événements tels qu’ils se sont déroulés. Et l’ancrage dans le deuxième conflit mondial permet de jouer avec la soif de pouvoir (et d’immortalité) du régime, de même que l’intérêt d’une partie des hauts-dignitaires nazis pour le paranormal.
À noter que le lien entre l’impératrice Barbara de Cilli et Vlad Tepes se fait (dans la réalité) par l’entremise de l’ordre du Dragon, auquel appartenait le père de Dracula. C’est en effet l’aristocrate et son mari qui ont été les créateurs de cet ordre. Ce lien a su titiller récemment d’autres auteurs, car la relation entre les Drăculești, l’impératrice et les vampires est au cœur du roman de Markus Heitz Die Schwarze Königin, sorti en août 2023.
La succession non-stop d’action, la richesse des multiples arcs narratifs (qui finissent presque tous par ses rejoindre), l’utilisation d’éléments historiques n’empêche pas certaines facilités de scénario. On a l’impression que Tristan Marcas est un trompe-la-mort qui enchaîne les moments de danger sans vraiment croire à ce même danger. Peut-être parce que j’ai eu du mal à être convaincu par la psychologie du personnage ? Ou parce qu’il aurait fallu lire l’ensemble du cycle pour mieux comprendre ce dernier ?
J’ai beaucoup plus aimé ce roman que le précédent du duo Giacometti/Ravenne que j’avais eu l’occasion de chroniquer. Si je maîtrise une bonne partie des références ici utilisées, je dois avouer que l’existence des exactions de partisans serbes m’était inconnue. Et même si je n’ai pas totalement été happé par le récit, la façon dont les auteurs choisissent de s’intéresser à Dracula et à son lien avec la figure du vampire est plutôt originale. Il faut également noter que les auteurs dévoilent certaines de leurs sources en fin d’ouvrage, ce qui est particulièrement appréciable pour les passionnés qui voudraient creuser davantage.