Strahinja est un jeune orphelin sans le sou qui a su se faire une place dans le village de Zarožje. Il est amoureux de Radojka, la fille du du riche et colérique Živan, qui n’apprécie pas qu’on tourne autour de sa progéniture. Après une altercation qui vaut une énième correction à la jeune fille, Strahinja décide de quitter le village. Chemin faisant, il tombe sur une réunion des ainés de Zarožje, qui font face à un problème de taille : tous les meuniers qui acceptent de travailler dans l’unique moulin que possède le village décèdent la nuit tombée. Strahinja leur propose alors de prendre le poste laissé vacant par le dernier meunier.
After Ninety Years est un texte dont j’attendais depuis bien longtemps une traduction, en français ou en anglais. Car si la nouvelle (le texte fait une quarantaine de pages) de l’auteur serbe Milovan Glišić est souvent mentionné parmi les premières incursions littéraires du vampire, il n’avait jamais été traduit à ce jour. L’adaptation TV, Leptirica, qui est également le premier film d’horreur serbe, n’a guère eu droit à un meilleur traitement, uniquement disponible dans une qualité déplorable pour les non serbophones.
Le récit proposé par ce texte est intéressant à plus d’un titre. Il s’agit en effet d’un texte vampirique complètement à l’opposé de ce que la créature tendait à devenir à l’Ouest de l’Europe à ce moment là. Loin du gothique ou de la poésie romantique, After Ninety Years en appelle en effet au folklore traditionnel, et à la représentation du vampire dans les légendes serbes. La novella plonge le lecteur dans campagne isolée où la vie traditionnelle des paysans est toujours de mise. Glišić propose donc une vraie reconstitution (c’était certes moins vrai à l’époque où le texte est sorti, en 1880) de la vie rurale serbe, ses institutions et son fonctionnement. James Lyon, le traducteur, bien conscient du fossé culturel et historique qui peut séparer aujourd’hui le lecteur et le contexte du récit, a fait un impressionnant travail de recherche pour enrichir le récit de nombreuses notes de bas de page, qui permettent de comprendre les termes et expressions employées. Ce qu’enrichit encore les deux introductions, celle du traducteur qui revient sur l’auteur et le récit à proprement parler, et celle d’Andy Boylan, qui passe au crible les différences et ressemblances entre Leptirica, l’unique adaptation cinématographique du texte, et le matériel d’origine.
On est ici en présence d’un vampire tel qu’on les représentait à l’époque des affaires Plogojovitz et Paole. Sava Savanović (puisque c’est son nom) est une créature dont l’aspect rappelle plus la goule que le vampire littéraire actuel. Il ne semble pas doué de pouvoirs particuliers (sinon sa longévité), et s’attaque la nuit aux meuniers en charge du moulin de Zarožje, laissant leurs corps exsangues avec deux marques caractéristiques. Pour le tuer, il faudra avoir recours à un étalon noir n’ayant aucune marque, de manière à ce que celui-ci puisse indiquer par son attitude l’emplacement de la tombe du vampire. Une fois celle-ci dénichée, c’est à l’aide d’un pieu d’aubépine, d’eau bénite et des prières du prêtre local que la menace du vampire est définitivement écartée. Sans compter, enfin, la capacité que possède l’âme du vampire de se transformer en mite pour fuir son corps.
Une vraie perle que ce texte dont on attendait depuis bien longtemps une traduction, d’autant que Sava Savanović a refait parler de lui il y a quelques années, alors que le moulin où il sévissait commençait à subir les assauts du temps. Fortement recommandé aux amateurs de récits anciens sur le sujet, d’autant qu’il n’est pas encore influencé par la production occidentale, Dracula n’ayant pas encore vu le jour à l’époque où Milovan Glišić écrivait son histoire.