De l’attaque d’Apollonia Kühn jusqu’à l’exécution de Peter Kürten, le journaliste Jean Guignebert relate la série d’agression qui se sont déroulés entre février 1929 et mars 1930, à Düsseldorf. Celui que la presse baptisera rapidement du nom de « Vampire » a laissé une empreinte indélébile sur l’histoire du crime du XXe siècle, et ce livre, terminé le jour où il finissait sous la guillotine, offre un éclairage contemporain sur le déroulement des faits. On y apprend autant les difficultés rencontrées par la police que la réaction de l’opinion publique, et on assiste au procès et aux différents témoignages, depuis ceux du principal intéressé jusqu’à ceux de ses victimes, voire de sa femme.
Peter Kürten, s’il n’est pas le premier tueur en série de l’histoire, fait partie de ceux qui ont fait rentrer ce phénomène criminel dans la littérature. Ce livre, écrit alors que Kürten est encore vivant, en est une preuve tangible. Guignebert, dont le nom est à l’époque connu dans la presse écrite avant de passer plus tard à la radio (et à la vie politique) relate sans emphase, et avec de nombreuses précisions, l’ensemble des revirements qu’a vécu l’affaire. L’idée n’est pas forcément de faire dans le sensationnalisme (les détails sanglants des crimes sont éludés pour se concentrer sur la chronologie), mais bien d’essayer de retracer le déroulé de l’affaire. Il y a donc deux parties distinctes au livre : l’enchaînement des attaques d’un côté, et l’arrestation/le procès de l’autre. Car Guignebert a assisté aux débats, comme le sous-entendent plusieurs allusions au fil du texte. Il achèvera enfin son ouvrage le jour même de l’exécution de Kürten, décapité à Cologne.
Kürten fait plus que porter un pseudonyme qui lui a été octroyé par des journaux avides de sensationnalisme. En effet, Kürten est connu pour égorger ses victimes… dont il boit le sang. C’est donc aussi un ouvrage qui montre que le sang peut fasciner jusqu’à provoquer des pulsions que le criminel se trouve dans l’obligation d’assouvir. L’auteur, une fois le procès achevé, et alors que Kürten attend que soit fixée la date de son exécution, réfléchit enfin aux raisons de ses actes. Mettant en relief l’enfance chaotique du tueur, il ne l’excuse pas pour autant, mais pense y trouver les racines de ses obsessions et frustrations.
Cela faisait des années que j’avais ce roman dans ma bibliothèque, et la lecture tombait à point nommé, alors que j’explore ces temps-ci la place du vampire dans la littérature policière. Sachant que Le Vampire de Philip McDonald, chroniqué il y a quelques jours, est sorti la même année (1931) que le procès, et qu’il fait moults allusions à l’affaire (et s’en inspire largement). Compte tenu du travail d’enquête réalisé par Jean Guignebert, c’est à mon sens un bon moyen (d’époque) pour mieux saisir la place du « Vampire de Düsseldorf » dans la fiction criminelle moderne. Le fait que cet essai ait été publié au sein des Éditions du Tambourin, aussi connues pour leurs romans policiers, est particulièrement intéressant. Sans même parler de la couverture, où Kürten figure tel une chauve-souris qui aurait replié ses ailes. Le vampire criminel semble bien parti pour faire son entrée en fiction.