Darryl Jones est professeur de littérature anglaise et doyen de la faculté des arts et sciences humaines et sociales du Trinity College de Dublin. Avec Sleeping with the Lights on: The Unsettling Story of Horror, le chercheur choisit de disséquer l’horreur en tant que genre fictionnel. En un peu moins de deux cents pages, il raconte l’histoire et les évolutions de l’horreur, principalement en littérature, au cinéma et à la télévision. Les différents chapitres du livre offrent également à explorer différentes colorations de l’horreur, qui naissent dans la confrontation avec d’autres thèmes. C’est le cas de l’occultisme, du corps, de l’esprit et de la science. Sans trop de surprises, l’un des aspects sur lesquels s’attarde le Jones a trait au traitement de la monstruosité, où les vampires sont en bonne place.
Le pedigree de Darryl Jones a déjà de quoi imposer le respect. Le chercheur est l’auteur d’une d’une étude détaillée sur Jane Austen sorti en 2017 — Jane Austen (Critical Issues). Quant à l’horreur, il n’en est pas à son premier coup d’essai, ayant à son actif différents ouvrages sur le sujet, notamment Horror : A Thematic History in Fiction and Film (2005). On lui doit enfin une anthologie horrifique, Horror Stories : Classic Tales from Hoffmann to Hodgson (2014), et des articles consacrés à M.R. James, Stephen King, Shirley Jackson… Un candidat qui semble donc idéal pour proposer à la fois un tour d’horizon et une analyse approfondie des ressorts de l’horreur et leur évolution au fil des siècles.
Le premier contact avec le livre est de bon aloi. La couverture est découpée en forme d’ampoule, matière à rentrer en résonance avec le titre, tout en exploitant des éléments graphiques qui donnent déjà un avant-goût du contenu. Le jeu d’ombre (on ne voit pas les traits des personnages, qui s’avancent comme une horde vers le lecteur) tend aussi à souligner que l’horreur nait dans les ténèbres. De fait, elle n’est jamais plus effrayante que quand elle ne se dévoile pas tout à fait. Publié chez Oxford University Press, le parti pris de cette maquette est surprenant pour un éditeur universitaire, mais néanmoins à saluer. D’autant qu’à la lecture, l’ouvrage est rehaussé d’illustrations, et les chapitres accompagnés d’éléments graphiques.
Difficile de ne pas être happé par cette analyse, qui n’a rien de rébarbatif. L’auteur s’appuie sur un corpus très large, mais il sait dans le même temps sélectionner des créations de premier plan (les incontournables) et des choses moins évidentes. On trouve ainsi mentionnés et passés au crible des textes tels que Dracula, Frankenstein, Dr Jekyll et Mister Hyde, des romanciens comme Lovecraft, Stephen King, M. R. James et des réalisateurs parmi lesquels John Carpenter et George A. Romero. A côté de ces jalons, l’auteur s’appuie aussi sur des œuvres telles que Cannibal Holocaust, Rosemary’s Baby, Les Métamorphoses d’Ovide, etc.
Dans son chapitre sur les monstres, l’auteur s’appuie particulièrement sur deux figures : le zombie, mais surtout le vampire. S’il rentre dans le vif du sujet en parlant de Twilight, c’est pour mieux revenir en arrière et détailler toutes les mutations des buveurs de sang en tant que phénomène monstrueux. Il est ainsi question du cas Arnold Paole, de Dom Augustin Calmet, et du basculement du vampire depuis une superstition paysanne vers une entité à la fois sexualisée et aristocratique, à partir de Polidori, en passant au préalable par le vampire chez les Romantiques. Ce parcours chronologique et sémantique se poursuit avec Carmilla puis Dracula. À noter que l’auteur s’intéresse également à la figure du vampire telle qu’utilisée par Karl Marx dans son Capital. Matière à démontrer qu’à cette époque, la créature en tant que métaphore est déjà implanté dans la culture. Et qu’avec lui, tout est question de prédation. La conclusion du livre revient sur Twilight, porte-étendard de ce que Darryl Jones nomme le unhorror, lié à la récupération de l’horreur par la culture de consommation. Pour lui, Twilight marque en effet un pas dans l’incorporation de l’horreur au sein du capitalisme. Le genre mute à cette occasion, devient une forme d’art qui prémâche son sens à destination des audiences, et ne laisse que peu d’espace aux débats d’opposition. Les connaisseurs apprécieront enfin de trouver en bibliographie des références comme le Our Vampires, Ourselves de Nina Auerbach le Vampires, Burial, and Death de Paul Barber ou encore Hollywood Gothic : The Tangled Web of Dracula from Novel to Stage to Screen de David J. Skal.
Sleeping with the Lights on: The Unsettling Story of Horror de Darryl Jones est un livre court. Mais sa construction, les corpus sur lesquels il s’appuie ou les analyses qui en découlent en font un quasi indispensable. D’autant qu’il reste très accessible au néophyte, et offre une très bonne synthèse du genre et de ses ramifications.