Quand un immigré roumain découvre au fond d’un hangar un quidam empalé sur un pieu de bois, le visage tordu de souffrance ante mortem et les entrailles broyées, dans la meilleure tradition des victimes de Vlad Tepes alias Dracula, resurgissent du fond de l’Histoire des terreurs ancestrales. Et si les vampires n’étaient pas morts ? La famille Radescu, ces sans-âge au teint blafard, ces noctambules habitants de Belleville, n’ont pas la vie facile. Tuer le temps ne va pas de soi quand celui-ci renaît chaque jour, pour ainsi dire éternellement. Qui s’est jamais intéressé au sort de ces humains sur qui le temps n’a pas de prise ? De ces humains interdits de soleil et alourdis de désirs inassouvis ? Réintégrer la communauté humaine, en finir avec l’éternité, c’est le but qu’ils se fixent pour tenter d’échapper à cette existence désespérante.
Annoncé depuis plusieurs mois par son éditeur, et relayé par pas mal de médias généraliste (dont la presse papier et la radio), ce dernier roman inachevé de Thierry Jonquet a donc fini par tomber entre mes griffes. J’avais certes entendu parler de son auteur, mais n’avais jamais eu l’occasion de me confronter à son œuvre. Cette sortie était donc l’occasion où jamais de découvrir un auteur que beaucoup présentent comme une des valeurs sûres du polar français, parti trop tôt (Jonquet est décédé en 2009 à l’âge de 55 ans). L’efficacité du style saute rapidement aux yeux, sitôt parcouru quelques lignes. Car la plume de Jonquet est à la fois directe et chantante, jamais ampoulée, toujours au service d’une ambiance réaliste plus que convaincante. Jonquet n’a ainsi pas son pareil pour dessiner devant les yeux du lecteur les lieux chargés en personnalités fortes qui traversent son texte.
L’auteur met en place une galerie de personnages franchement aboutis, qu’il s’agisse de la famille Radescu ou des seconds rôles, dont les personnalités et historiques sont plus qu’ébauchés, sans jamais nuire au souffle de l’histoire. Plus les pages avancent, plus on est cependant conscient que l’aspect inachevé du roman risque fort de laisser un arrière-goût de frustration dans la bouche du lecteur, alléché par les promesses d’une histoire qui se rapproche davantage de l’ambiance d’une Vierge de glace que de la scène Bitlit. Certes certains aspects du mythe tels que les voit Jonquet ont déjà été approché par certains auteurs, mais leur association à son style issu du polar donne une coloration unique à son récit.
Jonquet commence son récit en abordant la thématique de l’empalement, et sa relation au règne de Vlad Tepes, dont il s’agissait de la torture préférée. Se dessine d’emblée la figure d’un tueur captivé par les pratiques du personnage roumain. Mais la famille Radescu offre un lien encore plus fort avec le mythe du vampire classique. Une famille protégée par des gitans (ce qui nous ramène à la relation entre le Dracula fictif et ceux-ci), qui vit uniquement la nuit et semble avoir traversé les décennies sans que le temps ait réellement de prise sur elle. Doués d’une force physique hors du commun, flanqués d’un teint blafard, leur relation au sang semble être une des composantes fortes de leur métabolisme.
Un roman qui témoigne de la force de la plume de son auteur, dont je n’attends qu’une occasion pour découvrir l’œuvre plus typée « polar », avec laquelle tranche ce roman qui navigue entre les styles. Reste que plus la lecture avance, plus on se demande où va nous mener l’auteur. Mais si les trames se rejoignent quelques dizaine de pages avant la fin, ce roman n’en est pas moins une œuvre qu’on regrettera toujours de savoir inachevée. Et c’est bien là son seul défaut.