Les vacances étant terminées, Rebecca retrouve le pensionnat de Brangwynn pour une nouvelle année. Toujours hantée par le suicide de son père, elle aspire néanmoins à passer une année en compagnie de Lucy, sa meilleure amie, avec qui elle devrait faire chambre commune. Mais l’arrivée d’une nouvelle élève venue d’Europe, Ernessa, va rapidement bouleverser ses attentes. Cette dernière et Lucy vont peu à peu se rapprocher, déclenchant la jalousie de Rebecca. Alors que leur professeur de littérature, Mr Davis, se propose de les immerger dans les grands classiques du gothique anglais, la jeune femme va peu à peu se persuader qu’Ernessa est une vampire. Comment expliquer qu’elle ne se montre pas en pleine lumière, qu’elle ne semble jamais se nourrir et que Lucy dépérit au fil de leur relation. Et que penser des l’odeur qui remonte de la cave du pensionnat et qu’elle semble être la seule à sentir ?
J’ai découvert Moth Diaries il y a plusieurs années, par l’entremise de l’adaptation cinématographique (très réussie au demeurant) qu’en a tirée Mary Harron. Le hasard d’une recherche sur un site américain m’a remis en tête le film, et m’a permis de remonter au roman de Rachel Klein, qui en est à l’origine. Pour autant, j’étais persuadé que le texte n’avait pas été traduit (le film n’est quant a lui jamais sorti chez nous, et n’est pas disponible sur un support physique compatible avec la zone européenne), et c’est une fois après m’être lancé dans la lecture en VO que j’ai découvert que les Editions Anne Carrière s’étaient occupées de la traduction française.. en 2012. Pour autant, au vu des chroniques disponibles en français sur le roman, ainsi que de la couverture, j’ai l’impression que l’enrobage post-Twilight a plus desservi le roman qu’autre chose, frustrant dans la plupart des cas les lecteurs qui ne s’attendaient pas à une histoire de ce type.
Pour ma part, j’y ai éprouvé un certain plaisir de lecture. L’ambiance est d’emblée au huis-clos. Les personnages sortent certes de l’enceinte du pensionnat, mais les épisodes à l’extérieur ne les voient pas se confronter réellement au reste du monde (ce que soulignera d’ailleurs la narratrice en conclusion). Tout tourne essentiellement autour du personnage de Rebecca, de sa relation avec Lucy et de sa manière de percevoir Ernessa. On est d’emblée projeté dans le quotidien de jeunes femmes qui vivent entre elles, et dont deux ont développé une relation exclusive qui va être mis à mal. De fait, on pense davantage à Créatures Célestes où à Hantise de Shirley Jackson qu’à Carmilla, dont certains aspects infusent néanmoins le texte (Ernessa étant un avatar évident de Carmilla, sans même parler de la relation à la lisière de l’homo-érotisme qui existe entre Rebecca et Lucy).
Le livre n’est pour autant pas parfait, il possède quelques longueurs. Mais l’ambiance qui ne fera que s’appesantir au fil des pages, particulièrement autour de la psychologie de Rebecca, est très réussie. Et la manière dont l’auteur joue avec le surnaturel, en appuyant le doute entre psychose et réalité inconcevable est convaincant. Rachel Klein fait plus que jouer avec ses classiques : elle les intègre même comme élément constitutif du récit, sorte de déclencheur dans la prise de conscience (ou le basculement vers la folie) de son personnage central. Je comprends qu’on ne puisse pas aimer, surtout au vu du rythme du livre, et des promesses de la couverture – en VF du moins – qui n’a rien avec la teneur réelle de l’ouvrage. Je l’ai davantage perçu comme un livre sur le deuil, les premiers émois de l’adolescence, l’apprentissage de la sexualité et les relations toxiques.
Côté vampire, Rebecca commencera à voir en Ernessa une vampire après qu’elle ait lue le Carmilla de Le Fanu, lequel intègre un corpus gothique (genre auquel on pourrait facilement rattacher le récit) proposé à l’étude par son professeur. C’est dans ce roman, puis dans les ouvrages de son père mentionnant les créatures buveuses de sang qu’elle puisera ses connaissances sur le sujet. Si Mr Davies mentionne Dracula, l’héroïne ne semble pour autant pas se pencher sur le texte. Mais le personnage de Lucy pourrait être vu comme un transfuge du roman épistolaire (d’autant que le livre reprend justement ce type de construction). Reste Ernessa, personnage mystérieux qui ne semble pas avoir besoin de se nourrir, ne se montre très rarement en plein soleil et au contact de laquelle les jeunes femmes semblent dépérir. Sans compte la scène onirique en diable où Rebecca , cherchant à jeter un œil à l’intérieur de la chambre de sa camarade en passant par un rebord extérieur, avisera le dénuement des lieux, la poussière qui recouvre tout… et surtout la nuée de papillon de nuit qui semble apparaître.
J’avais beaucoup apprécié le film, variation relativement intéressante sur le couple saphisme / vampirisme. Le livre joue davantage sur l’hésitation entre réel et surnaturel, tout en délivrant une ambiance pesante très réussie. À conseiller à ceux qui veulent sortir des poncifs de ces dernières années.