Laura vit avec son père dans un château isolé, entouré d’une impénétrable forêt. Lors d’une promenade, ils sont les témoins d’un accident de calèche. L’une des passagères, Carmilla, déjà affaiblie, se voit contrainte de rester avec eux, alors que sa mère doit poursuivre son voyage, promettant de revenir dès que possible chercher sa fille. Rapidement, une complicité naît entre Laura et Carmilla. Mais dans le même temps, une étrange épidémie se répand : une à une, les jeunes femmes des environs dépérissent peu à peu.
Carmilla est un ouvrage incontournable pour qui s’intéresse au vampire en tant que figure littéraire. S’il n’est pas le premier long texte de fiction mettant en scène une créature buveuse de sang (Le Vampire de Polidori et Varney le Vampire étant déjà passés par là), le texte de Sheridan le Fanu ajoute une dimension transgressive plus poussée (à commencer par le choix de faire de sa vampire une femme). Ce que n’oubliera pas Bram Stoker quelques années plus tard, quand il entamera l’écriture de son Dracula.
Après Dracula, Carmilla est à juste titre un des textes du genre les plus adaptés, notamment au cinéma (la Hammer lui a ainsi consacré le cycle Karnstein, en référence au nom de famille de Carmilla). À la faveur des 200 ans de la naissance de Le Fanu (dont c’est le texte le plus connu en France), les éditions Soleil proposent donc une version illustrée du roman, se basant sur la traduction de Gaïd Girard (auteur de plusieurs articles sur l’auteur) des éditions Actes Sud. Chaque chapitre se voit par ailleurs introduit dans sa présente version par des extraits d’autres œvres, parmi lesquelles le Dracula de Stoker et le Ligeia de Poe. Sachant qu’un article du traducteur, qui soulève le voile sur certains éléments du sous-texte de la novella, sert de conclusion à l’ouvrage.
Si je ne reviendrai pas forcément ici sur le texte en lui-même, ayant déjà chroniqué le roman dans une autre traduction, c’est davantage l’aspect pictural de l’ouvrage qui va ici nous intéresser (d’autant que chaque page de texte est en vis-à-vis avec une illustration). Au premier abord, le trait d’Isabella Mazanti est assez enfantin. Les traits de ses personnages sont ronds, leurs yeux petits, et il se dégage d’eux une certaine naïveté. Mais la dessinatrice n’oublie pas d’insuffler à ses illustrations des éléments qui vont venir perturber cette douceur apparente, distillant un certain malaise. Le sang y est ainsi représenté sous la forme de filaments rouges qui s’échappent du cou de l’héroïne, ou des éléments du décor. Une idée intéressante (même si le dessin en dit parfois plus qu’il ne le devrait sur ce qui se déroule à l’écrit), dont le rendu est on ne peut plus réussi. L’illustratrice puise également son inspiration dans certaines œuvres picturales fortes associées au thème du vampire. Les habitués en reconnaitront facilement certaines, à commencer par Le Cauchemar de Füssli.
À mes yeux, Carmilla est un texte que tout amateur de littérature aux dents longues se doit d’avoir lu. Le Fanu y synthétisait ses prédécesseurs, et ajoutait sa touche personnelle, ouvrant une voie dans laquelle Stoker eut la bonne idée de le suivre quelques années plus tard. Comme on pouvait s’y attendre, c’est sur les illustrations d’Isabella Mazzanti que repose l’intérêt de cette version illustrée, pour le moins réussie (d’autant que la maquette n’est pas en reste). Une manière assez intéressante de dépoussiérer le texte d’origine.