La confrontation avec Camilla aura été fatale à Tibbett, le dernier loup gris d’Alba. Tiraillé entre la possibilité que la vampire soit enceinte de lui et son attachement à son mentor de toujours, Lord Gravestone aura porté un coup mortel à son ami, en protégeant son amante. Il sait cependant qu’un nouveau face-à-face est inéluctable, alors que Camilla choisit de demander l’aide du Basileus. Son futur enfant étant à la fois de sang vampire et humain, elle décide de le faire naître du côté des vivants, même si pour cela elle doit s’astreindre à un jeûne effroyable. Mais la parole du Basileus ne cache-t-elle pas d’autres desseins ?
Ce troisième et ultime volet clôture donc le cycle commencé en 2022 avec Le Baiser Rouge, et poursuivi quelques mois plus tard avec Le Dernier Loup d’Alba. Difficile de ne pas être séduit par cette fin à la mesure des deux tomes précédents, qui ferme un arc narratif très efficace, marqué par des séries antérieures comme le Prince de la Nuit, voire Underworld (pour l’antagonisme loups-garous et vampires). Reste que Jérome le gris et Nicolas Siner se sont échinés à s’approprier leurs références et les codes du genre. Sous couvert d’un récit gothique (pour ne pas dire shakespearienne), il y a là une volonté manifeste de proposer un univers cohérent et personnel à partir d’éléments bien rabattus. J’avais émis quelques doutes avec le premier opus, qui me semblait encore trop pénétré de ses influences. Cette fin (de cycle ?) clôture les différentes zones d’ombre de l’histoire, tout en dévoilant de nouvelles pistes narratives (le fonctionnement de la communauté des vampires, l’antagonisme à venir entre Gravestone et sa propre fille). Il y a aussi un peu de poésie noire dans tout cela, à l’image des pluies de cendres que déclenche le Basileus.
Graphiquement, le trait de Nicolas Siner ne démérite pas depuis le premier volume. Il parvient à insuffler un souffle gothique puissant au récit, imposant une palette et une occupation de la planche qui rappelle Mathieu Lauffray. Visuellement, je pense en effet beaucoup à Long John Silver en lisant Lord Gravestone, même si les couleurs utilisées par Siner vont plus vers des teintes bleues que vers le vert. Les deux auteurs partagent également tout un savoir-faire indéniable en termes de cadrage et de mise en scène. Matière à rendre l’histoire imaginée par Jérôme le gris aussi passionnante que graphiquement accrocheuse.
On apprendra ici de nouvelles choses concernant le peuple des vampires. Ainsi, l’existence de sanctuaires écarlates, qui permettent aux buveurs de sang de se reposer et de panser leurs blessures. Le Basileus paraît une fois de plus comme une éminence grise, qui facilite la destinée des siens. On découvrira néanmoins que ce n’est pas forcément lui qui a entre ses mains le pouvoir politique de la nation vampire. Il y a aussi l’idée qu’un enfant de parents vampires et humains basculera nécessairement vers l’un ou l’autre. Les vampires — en la présence du Basileus — semblent posséder les savoirs pour influer sur l’existence même d’un tel nouveau-né. Enfin, on verra que les vampires les plus anciens ont la capacité, au moment de leur mort, de transmettre une partie de leur puissance et de leur mémoire à un artefact.
Une fin de trilogie de très belle tenue, qui confirme toute la force du deuxième tome, tout en laissant ouverte la possibilité d’une poursuite. Le tout servi par un graphisme à la mesure de l’ambiance de l’histoire. Je ne dirais pas que cette série aura une incidence sur les productions à venir, mais elle montre indubitablement qu’il est encore possible de proposer des choses nouvelles tout en les ancrant dans un référentiel déjà lourdement balisé. Chaudement recommandé.