Une femme se présente au commissariat, demandant à parler au capitaine Merlicht. Sa fille a disparu depuis la veille au soir, et si rien ne motive encore le déclenchement d’une enquête, la grand-mère de la jeune fille a lu un avenir funeste à celle-ci dans les cartes. Dans le même temps, le groupe est appelé en intervention au Père-Lachaise : une flaque de sang vient d’y être retrouvée par les gardiens, sans qu’aucun corps ne soit à proximité. Quelques heures plus tard, deux pêcheurs remontent à la surface le cadavre d’une femme, totalement exsangue. Les trois affaires seraient-elles liées ?
Cinquième volet des enquêtes du Capitaine Merlicht, Dans la brume écarlate propose un roman policier bien senti, qui met en exergue différents faits de société (la gestion des migrants, les violences faites aux femmes, etc.) en arrière-plan de son intrigue. Pour autant, Nicolas Lebel ne sombre pas dans le voyeurisme, et ne se fait pas sentencieux. L’auteur distille dans le même temps une certaine touche d’humour, qui transparaît dans les attitudes de certains de ses protagonistes secondaires (notamment). On peut ainsi citer l’exemple des deux gardiens du cimetière. On reste malgré tout en présence d’une histoire sérieuse, qui explore le réel (on est après tout dans un roman policier) tout en convoquant l’influence de la littérature fantastique. Les personnages principaux ne sont ni des surhommes ni des individus brisés par la vie. Ils sont humains, ont leurs propres angoisses, font des choix qui les engagent parfois sur la mauvaise pente. Ils savent se relever, à l’image de Merlicht qui parvient à nouer une nouvelle relation, après le décès de sa femme.
L’idée du roman choral renvoie à Dracula. Chez Nicolas Lebel comme chez Bram Stoker, le tueur ne prend pas la parole, et ce sont ceux qui sont lancés à ses trousses qui tissent conjointement la trame. Il ne s’agit pour autant pas d’un ouvrage épistolaire, même si la forme écrite est très présente dans le récit (les carnets du chasseur, le forum où Lucie fait la connaissance de Viktor…). L’enquête s’oriente progressivement vers l’histoire récente de la Roumanie, et les heures sombres du régime de Ceaucescu. Le lien entre cette période et le thème du vampire n’en est pas à une première rencontre : Dan Simmons a longuement joué dessus dans Les Fils des Ténèbres. Lebel ne franchit jamais la frontière entre fantastique et réel : il est donc dans une approche très différente de l’auteur américain. Mais le rapport au passé de la Roumanie, et aux exactions commises sous Ceaucescu est assurément un des axes moteurs de Dans la brume écarlate. Un élément également présent dans La Faim et la Soif de Mickäel Koudero. A la limite pourrait-on trouver, dans l’idée de prolonger la vie par le sang, une filiation plus ancienne, avec Les Mystères de Lyon de Jean de la Hire. Le roman jouait déjà sur cette idée de revivifier des êtres humains en leur injectant du sang. Ce qu’on retrouvait aussi dans Le Vampire des Carpates de la série des OSS177 de Jean Bruce. Enfin, l’ambiance même, brumeuse, avec ses femmes attaquées par un tueur en série, peut également rappeler le cas de Jack L’Eventreur, influence autant pour la littérature vampirique que dans l’histoire du récit policier.
Nicolas Lebel mêle plusieurs thèmes d’actualités, les confronte à des influences littéraires (et pas uniquement Dracula), et propose au final un roman aux multiples facettes. Moins noir qu’un Promesse des Ténèbres de Maxime Chattam ou qu’un Sarko de Franck Thilliez, et de fait peut-être plus digeste. Le lecteur n’hésite jamais entre solution naturelle ou surnaturelle, même si l’auteur joue des références (la présence d’un pieu dans l’arsenal du chasseur, par exemple). En approfondissant ses personnages au fil du récit, Lebel évite de faire de ces derniers des archétypes. Il finit par en faire des individus attachants, notamment Merlicht et Latour. C’est plus difficile pour Dossantos, que ses accointances passées et sa violence rendent plus détestable.
Quelque part entre une Fred Vargas, pour la constitution d’une équipe avec chacun ses zones d’ombres et ses frustrations, et un Thierry Jonquet, pour le recours à un fond social, Nicolas Lebel fait de Dans la Brume écarlate une enquête aux racines autant littéraires qu’historiques. Le passé ne fait pour autant pas oublier le présent, et l’utilisation de faits de société contemporains contribue au réalisme de l’ensemble.