Claude Lecouteux, écrivain et essayiste spécialiste des légendes et contes populaires, propose dans une anthologie un certain nombre de récits relatifs aux morts-vivants sous différentes formes. La première des histoires de vampires contenues dans l’anthologie met en scène un érudit, bibliothécaire, qui se rend dans un petit village hongrois pour mettre fin à l’étrange peste qui décime sa population. En effet, depuis le retour avorté d’un jeune homme du régiment pour retrouver sa fiancée, celle-ci, puis d’autres proches, meurent mystérieusement. Les ravages sont le fait d’un seul homme, atteint du virus vampirique, puis de tous ceux qu’il a mordus. La solution sera simple : un pieu dans le cœur de tous les morts –retrouvés intacts dans leurs tombeaux-, ainsi que dans celui du jeune homme. L’histoire, qui se concentre un peu sur l’histoire d’amour entre la jeune fille et son fiancé, est assez développée et prenante.
L’histoire concernant Peter Plogojovic mentionne le fait que ce défunt, du moins son corps, ne présente pas d’altération particulière de son corps lorsque les villageois anxieux l’exhument, mais a même reçu une nouvelle peau, un peu comme un serpent. Un trait qui est commun avec un cordonnier silésien du XVIème siècle. Ces deux figues ne présentent pas de caractéristiques classiques des vampires dans leur façon de procéder, qui se résume à tourmenter leurs proches mais aussi à tenter de les étrangler. Le vampire de Bendschin fait l’objet d’un texte parmi les plus longs du recueil (11 pages environ) ; celui-ci fut une véritable calamité, car après une vie de magistrat local, il trépassa après la ruade d’un cheval ; or tout indique qu’il connaissait à peu près le moment de sa mort, signe qu’il aurait passé un pacte avec le diable. Après son décès, Johann Cuntze revient tourmenter sa famille, violentant (dans tous les sens du terme) hommes, femmes, animaux et mobilier, faisant un vacarme de tous les diables (sic), faisant des farces en tous genres ; Berschein (étrangement, le nom du village diverge de celui du titre…) devient une sorte de no man’s land et les autorités du village décidèrent d’exhumer tous les cadavres afin de savoir l’origine de leurs maux ; seul le corps de Cuntze présentait un aspect intact, et même enflé. Le corps fut brûlé, mais très difficilement, puis équarri, les morceaux brûlés à nouveau et les cendres jetées à la rivière. Quelques jours plus tard une ancienne servante de Cuntze décéda et son fantôme revint hanter le voisinage ; les villageois mirent fin à cette malédiction en procédant de la même façon que pour feu son maître. Cette difficulté pour détruire une dépouille de revenant se démarque des récits précédents, où il « suffisait » de plonger un pieu dans le coeur et de brûler le corps. Ce récit allemand très riche date du XVIème siècle.
Un court récit chinois fait état d’un cadavre inconnu, dans un tombeau, tenant extrêmement fermement dans ses mains la tête d’un homme retrouvé mort la veille. La tête était exsangue, sans doute vidée de son sang par le revenant, lequel a gardé un aspect vivant mais avec le corps recouvert de poils blancs, un motif a priori très rare.
En Prusse orientale, au XVIIIème siècle, le teint vivace d’un patriarche après sa mort tandis que plusieurs membres de son entourage meurent prématurément et de façon inexpliquée convainc les survivants de sa nature de vampire. Lorsque son neveu descendit dans son caveau pour lui trancher la tête, il recueillit un peu du sang du défunt (après lui avoir tranché la tête) pour le ramener chez lui. Il fut par la suite longtemps malade avant de recouvrer la santé et vivre très vieux.
Un conte roumain se penche sur le cas d’une belle jeune fille, appelée Maritza, qui refusa d’épouser un vampire qui venait assister aux fêtes du village. Le vampire était très pâle, maigre et vivait visiblement dans une fosse commune du cimetière local. Le vampire se vengea en tuant la jeune fille. Mais, ayant raconté auparavant cet amour contrarié à sa tante sorcière, Maritza ressuscita sous la forme d’une fleur d’or qui poussa sur sa tombe et que l’Empereur vint cueillir pour la laisser s’épanouir dans un verre d’eau de sa chambre. Pendant deux nuits, la fleur d’or redevint Maritza, qui prit soin et rangea la chambre du monarque, lequel finit par la surprendre, la trouva à son goût et se maria avec elle et en eut plusieurs enfants. Ce récit est surprenant par le virage en forme de conte pris en cours de route.
Un huitième récit, curieusement non placé dans le chapitre « vampires », fait état d’un percepteur décédé prussien qui revient hanter ses proches pour ne pas avoir été correctement incinéré. Pourtant il tourmente gens et animaux, porte du sang frais sur les lèvres lorsqu’on ouvre sa tombe, et se fait appeler vampire. Il hantera durant sept années, et disparut en nuée lorsqu’on le captura. Cela se passait entre 1718 et 1725.
On peut remarquer plusieurs traits communs à la plupart des récits : les vampires ont des attributs et des comportements proches de ceux des poltergeists, des fantômes ou d’autres formes de revenants. Lorsqu’ils reviennent à la vie, c’est pour tourmenter majoritairement leurs proches. Souvent un pieu dans le coeur et une crémation permettent d’arrêter la malédiction, mais pas toujours. Notons donc que ces récits, tous antérieurs au Dracula de Stoker, proposent des vampires sous des formes « primitives », sans l’attribut principal (l’ingestion de sang par morsure) qui fut fixé à la fin du XIXème siècle. Notons toutefois le récit chinois, très différent et justement caractérisé par cette consommation sanguine. Une lecture intéressante, sur de nombreux points, même si parfois la narration n’est pas toujours très intelligible.