Depuis la mort de sa mère, Sabella Quey vit seule, dans une maison isolée du Plateau de la Tête de Marteau. Un jour, elle reçoit un stella l’informant du décès de sa tante, Cassi Kobermann. Celle-ci lui lègue une somme rondelette, mais pour toucher l’héritage Sabella doit se rendre à l’enterrement, et signer quelques papiers. La jeune femme se résout à faire le trajet, même si elle est dans un premier temps hésitante à retrouver le contact avec la civilisation. Depuis son adolescence, elle est en effet atteinte d’une affection des plus étrange, qui la pousse à boire du sang. Si les animaux suffisent à la contenter dans son isolement, à sa proximité les hommes se sentent irrémédiablement attirés. Et finissent bien souvent exsangue, malgré les précautions prises.
Tanith Lee fait partie des autrices majeures pour qui s’essaie à approcher le vampire de fiction dans son ensemble. Elle s’est penchée maintes fois sur la figure du buveur de sang, au travers de texte fabuleux comme Tuer les morts (1980) et La Danse des Ombres (1992). Sabella ou la pierre de sang est l’un des récits de science-fiction où la romancière convoque l’ombre du vampire. C’est aussi le cas dans le diptyque Ne mords pas le Soleil/Le vin saphir, deux opus datés respectivement de 1976 et 1977. Quand sort la présente novella, elle n’en est donc pas à sa première publication, et a remporté plusieurs prix comme le Nebula Awards, le World Fantasy Awards et le British Fantasy Awards.
D’emblée, on comprend que la trame de Sabella joue avec les genres de l’imaginaire. Les premières lignes du texte imposent le registre science-fictionnel, en ancrant l’histoire sur la planète de Novo Mars. Pour autant, au fil des chapitres, Tanith Lee distille des éléments qui renvoient au vampire en tant que figure du fantastique, par la photophobie de son personnage comme par son besoin de sang, qui s’éveille au contact des hommes qui croisent son chemin. Le récit dégage une sensualité indéniable, un trait commun à toute l’œuvre de la romancière (et a la créature qu’elle met en scène). De même que la maison de Sabella, qui s’avère centrale dans une partie du livre, rappelle la maison des Scarabae dans le cycle de L’Opéra de Sang, avec ses vitraux. C’est la part de gothique qui inonde la production de l’autrice, quel que soit le genre auquel elle s’essaie. Quand, dans les derniers chapitres du texte, la science-fiction revient bousculer l’essence même de Sabella, force est d’avouer que le mélange des genres est minutieux et d’une efficacité rare.
Sabella est la figure centrale du roman, même si elle sera rejointe par la suite par son pendant masculin. Le personnage incarne à merveille l’idée de la solitude du vampire, isolé parmi ceux dont il doit se nourrir, incapable de frayer avec les humains… sinon pour boire leur sang. Il n’est pas étonnant que Tanith Lee ait choisi de faire basculer l’existence de son héroïne au moment où celle-ci s’élève à son statut de femme. Le vampire en elle symbolise le rapport au sang, à la vie – et à la mort, mais aussi à la séduction. Chez la romancière, le vampire est une créature éminemment sexuelle, la morsure pour Sabella se substituant au plaisir physique (d’autant qu’elle y puise le fluide nécessaire à sa subsistance). Sans même souligner que la caverne où elle trouve la pierre à l’origine de sa situation est décrite comme un vagin. La jeune femme, qui craint la lumière du soleil autant qu’elle éprouve des difficultés à ne pas drainer jusqu’à la mort ses amants et victimes, est une variation magistrale sur la figure du vampire.
Sabella ou la pierre de sang est une novella incontournable de la romancière, qui y projette ses thèmes favoris tout en s’amusant à mélanger les genres. Un texte qui mériterait d’être retraduit et réédité, d’autant que la version française, qui date de 1981, n’a jamais été republiée depuis.