La poésie n’est pas un genre littéraire très représenté sur Vampirisme.com. Et pourtant, on ne répétera jamais assez que c’est au travers de la poésie romantique que la figure du vampire a fait ses premiers pas en littérature. Les textes de Ossenfelder, Bürger, Goethe, Southey, Byron démontrent en effet que la créature de folklore est un fait littéraire dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, et que la poésie en est le principal vecteur.
Pour autant, si entre-temps le vampire a investi le champ de la fiction, la poésie n’a jamais cessé d’être un genre où les buveurs de sang trouvent un terrain pour s’épanouir. Des textes comme Le Gars de Marina Tsvétaïeva (écrit en 1922, traduit en français par son auteur en 1929), « Vampires » (1986) de Richard Christian Matheson prouvent que la créature continue de distiller sa noirceur en dehors de la prose. Un jour ou l’autre, il était donc attendu que cette forme littéraire qu’est la poésie se retrouverait dans nos pages.
Aurélien Lemant est autant homme de lettres que de scène. Comédien et dramaturge, l’artiste est dans le même temps un traducteur et essayiste reconnu pour sa connaissance du comics américain. Il aura également signé plusieurs essais sur différentes figures de la pop culture, de Blue Öyster Cult à Maurice Dantec, en passant par Philip K. Dick. Si j’avais déjà eu l’occasion de croiser sa plume plusieurs fois ces dernières années, La poétesse impubliable précédé de Upír est sa première publication dans laquelle je me plonge pour en faire ressortir la moelle vampirique.
Le titre souligne d’emblée le lien avec la figure du vampire, mais la première partie du recueil regorge de références à la Fortune des créatures de la nuit. Le livre se divise en deux parties distinctes, auxquelles l’auteur a ajouté un interlude : l’interface « La Rose de Jéricho ». Le choix de titre n’est pas anodin : après avoir été desséché par la relation relatée dans « Upír », le narrateur, victime conscience, se retrouve dans un état quasi exsangue. De fait, c’est bien le début du texte qui va nous intéresser, car c’est lui qui concentre la part vampirique de l’ensemble.
Sous la plume d’Aurélien Lemant, l’upír s’impose comme la femme aimée, l’amante. L’imagination du narrateur, porté par ses sentiments, façonne la femme à l’image de ce qu’elle n’est pas. Ce que souligne les références à Dracula, notamment au voyage de Jonathan Harker vers le comte : la distinction entre le réel du rêve perturbe le jugement de celui qui prend la parole. Le texte ne cesse de faire des allusions à la chose vampirique, bien au-delà des citations de Dracula (mais le roman de Stoker est convoqué maintes fois, comme dans cette image du lézard qui rampe sur la tour). Lemant évoque ainsi Nosferatu et la Dame Pâle. Le choix de cette dernière n’est pas anodin, car l’un des éléments majeurs de la dimension vampirique du poème tient à la charge mortifère de la femme vampire. Rapidement, le lecteur comprend que la narration est autant un témoignage qu’un aveu d’impuissance. La morsure y trouve une place de symbole du désir, mais est dans le même temps emblématique du masochisme corporel dont le « héros » est prisonnier. S’il prend la plume, c’est pour autant mû par le besoin d’avertir, et éviter à d’autres d’être eux-mêmes victimes. Si le couvercle du cercueil achève de se refermer sur cette relation mortifère, tel un moyen de contenir le mal, c’est pour abandonner le témoin-proie harassé, vidé par celle qui s’est déchaînée sur lui. Laissant alors la voix à la deuxième partie du recueil, comme un miroir positif à cet attachement maladif.
Le romantisme avait sur matérialiser le vampire de folklore comme une allégorie de la décrépitude, tout en le faisant femme. Le recueil d’Aurélien Lemant, qui joue des références classiques tout en ancrant son texte dans l’époque contemporaine, montre que la poésie et les vampires n’en ont pas fini l’un avec l’autre. Mais pour une créature qui cristallise le fracas des armes entre Éros et Tanathos, peut-il en être autrement ?