L’apocalypse a eu lieu, et l’humanité n’est plus que ruine. Cela fait des années que Billy, Yui, Lucas, Romie et les autres enfants se sont installés au cœur de la ville. Des journées, des mois, des années qui se répètent inlassablement, plongeant le petit groupe dans une sorte de torpeur. Leur existence remonte à bien avant la fin du monde, et la plupart n’étaient déjà plus humains au moment du cataclysme. Car tous ces enfants sont des vampires, transformés par des buveurs de sang plus anciens qui les ont laissés là, leur confiant quelques règles et leur promettant de revenir quand tout serait plus calme.
Les noms de Jeff Lemire et de Dustin Nguyen ne sont pas nouveaux pour les lecteurs de comics. Le scénariste a fait ses premières armes chez Top Shelf, où il se fait connaître au travers de la série Essex County. Il a également écrit pour DC Comics, pour Marvel, et on lui doit quelques titres marquants comme Sweet Tooth ou Black Hammer. Au rayon vampire, il apparaît au sommaire d’American Vampire Anthology (2013), avec l’histoire « À Canadian Vampire ». Dustin Nguyen est un illustrateur ayant surtout officié pour DC Comics et Wildstorms. Il a déjà travaillé plusieurs fois en binôme avec Jeff Lemire, pour les séries Descender et Ascender (publiées chez Image Comics, tout comme Little Monsters). Lui aussi a travaillé sur American Vampire : il est le dessinateur principal sur American Vampire Legacy : Le Réveil du monstre, spin-off de la série mère.
La figure de l’enfant vampire n’est pas nouvelle, Anne Rice lui a notamment donné un personnage fort à travers de Claudia. Jeff Lemire et son co-auteur choisissent ici de plonger un petit groupe d’enfants morts-vivants dans un monde où l’humanité a quasiment disparu. On est clairement dans un récit post-apocalyptique, mais quelque part ce n’est pas cet aspect des choses qui s’impose avec ce premier tome. Au cœur de l’intrigue, ce sont avant tout ces enfants bloqués dans une nuit sans fin. À un point où leurs jeux, leurs loisirs ne paraissent plus que des réflexes. Lemire explore la dualité de l’enfance, entre cruauté et pureté. Mais l’équilibre fragile va être mis à mal par le réveil de leurs instincts de vampires : la présence de l’homme.
Graphiquement Dustin Nguyen propose un album majoritairement en noir et blanc. Un style réaliste, qui s’appuie sur des trames (lesquelles peuvent presque en appeler au manga). Manière de souligner le cadre post-apocalyptique, et l’univers désespérément gris où évolue le petit groupe ? Reste que la couleur n’est pour autant pas absente de ce premier recueil. Le sang est ainsi rouge, de même que les dessins de Ronnie, la vampire sourde et muette qui est la plus ancienne… et la plus en capacité de contrôler ses instincts.
On apprend dans ce premier album que ce sont des vampires adultes qui ont transformé les enfants — à des époques différentes — et leur ont demandé de rester sur place au moment de la chute de l’humanité. De leur état, les jeunes vampires ne paraissent pas connaître grand-chose. Ils savent que le soleil est un ennemi qui peut s’avérer fatal, et ont compris qu’ils pouvaient survivre en se nourrissant de sang de rats. L’immortalité leur vaut un rapport au temps assez particulier : leur mémoire ne semble pas infinie, et ils finissent par oublier la notion de durée. Leurs ainés leur on fait promettre, avant de partir, de ne jamais boire de sang humain. On apprendra également que certains paraissent avoir un lien fort avec l’endroit où ils vivent, ce qui les empêche de dormir ailleurs en journée. N’ayant jamais goûté de sang humain jusque-là, cette nouvelle source de nourriture va être grisante pour une large partie du groupe, qui développe rapidement une faim inconnue.
Encore une série qui convoque des vampires dans un cadre post-apocalyptique. Pour autant, l’idée de prendre un petit groupe d’enfants comme protagonistes principaux permet à l’histoire de sortir du lot. On est ici sur le démarrage du récit, où le point de basculement — pour le groupe — se produit. Je suis néanmoins très curieux de voir ce que nous réservera la suite.