En 1883, alors qu’il regagne la sécurité de son château, Dracula est rattrapé par le petit groupe qui le poursuit depuis plusieurs semaines. Ces opposants parviennent à l’acculer dans sa propre crypte, et à lui enfoncer en plein coeur un pieu de bois. Mais ils échouent à se débarrasser de la dépouille du vampire, qui se retrouve isolée derrière un mur de pierre. En 1938, Damien Hamon, un consultant employé par la police de New York, décide de ne pas attendre les renforts et tombe entre les mains d’une bande de malfrats. Cette rencontre le laissera dans un fauteuil roulant, la boîte crânienne enserrée par une plaque de métal. Près de trente ans passent, avant qu’une jeune femme possédant d’étranges pouvoirs ne conduise l’ancien criminologiste, versé dans les arts occultes, sur la piste de Dracula.
J’avais mis la main il y a des années sur ce petit roman (120 pages), mais il n’est remonté que très récemment dans mes souvenirs, à la faveur d’une interview de l’auteur parue dans le très bon The Collected Pulp Horror: Volume One de Justin Marriott. Quelques jours plus tard, je croise une nouvelle fois le nom de Robert Lory en passant au crible l’incontournable Le vampire dans la littérature du XXe siècle de Jean Marigny. Avais-je jusque-là ignoré un jalon dans la constitution du vampire littéraire ? Je n’avais qu’une chose à faire pour répondre à la question : le lire.
Si ce roman est un des premiers à reprendre la figure de Dracula et à la placer à l’ère moderne, et se pose comme le premier dérivé (en fiction) de l’essai de Raymond McNally et Radu Florescu, difficile d’y voir un ouvrage de premier plan. La trame, les personnages par trop caricaturaux, certains ressorts d’intrigues (notamment les aspects scientifiques) sont clairement estampillés années 70 et peinent aujourd’hui à convaincre. On ira même jusqu’à dire que si la saga a connu un certain nombre de suites (neuf en quatre ans, belle performance !) et de rares traductions (tous ont été publiés en allemand et… c’est tout), difficile d’imaginer le grand oeuvre de Robert Lory figurer aux côtés des cycles de Saberhagen, Quinn Yarbro et Rice.
De mon point de vue, il y a pour autant des choix narratifs assez bons dans ce premier opus. À commencer par cette idée de faire de Peonari le château où Van Helsing et sa clique mettront un terme à l’existence de Dracula. Aucun auteur n’avait à ma connaissance assis de manière aussi précise (du moins à cette époque) le personnage dans son arrière-plan historique. Comme Lory le révèle lui-même en interview, il avait pleinement connaissance du travail des rédacteurs de In Search of the Real Dracula. et ça a été un des éléments déclencheurs dans le projet. Cet ancrage géographique, qui revient par deux fois dans le texte, est à n’en pas douter un des temps forts de ce premier volume. Sans se rendre sur place, l’auteur parvient à dresser un portrait crédible de la forteresse en ruine. L’autre point d’importance, c’est l’idée d’enrichir le passé du personnage, par l’intermédiaire de récits enchâssés. Dans ce premier tome, c’est ainsi le journal d’un conquistador qui permet à l’auteur d’intégrer cette dimension historique. On notera également que Dracula et sa servante sont tous les deux des survivants de l’Atlantide… un choix qui relativise les retours négatifs des lecteurs quand Anne Rice prend la même direction dans les derniers opus de ses Chroniques.
Pour autant, comme déjà dit plus haut, le texte manque de style. Tout ça est assez poussif, les personnages secondaires sont de parfaits archétypes, juste bons à être des faire-valoir de Dracula et de Ktara. Si Hammon utilise la science pour contraindre Dracula, l’invention qui lui sert à cela, une sorte de déclencheur qui conserve un fragment du pieu d’origine, est quelque peu tirée par les cheveux. Et l’enchaînement des différentes parties est peu fluide. On pourrait objecter qu’il s’agit là d’un premier roman, et que l’univers a encore de quoi s’approfondir par la suite, mais je ne suis pas convaincu outre mesure par cette première livraison. On peut donc voir dans ce Dracula Returns les prémices de l’évolution du vampire contemporain, qui se débarrasse de ses oripeaux gothiques pour intégrer de plain-pied l’ère moderne, mais les auteurs qui ont emboîté le pas à Lory ont bien plus efficacement que lui enfoncé le clou.
Pour ce qui est de la figure du vampire, l’essentiel de ce qu’on apprend provient des échanges entre Ktara, puis Dracula et Hammon / Sanchez. On sait que les vampires sont des survivants atlantes. Ktara est liée à Dracula : elle est chargée d’assurer sa protection et d’aider à sa résurrection au cas où il soit mis en difficulté. Pour autant, elle possède des pouvoirs que lui n’a pas (elle sait lire les pensées et a des capacités télékinésiques), et n’est pas une vampire elle-même. Dracula apparaît quant à lui uniquement en mesure de se mouvoir là nuit venue. Il doit reposer dans un cercueil dans lequel se trouve la terre de son lieu d’origine. Il peut être tué si on lui enfonce un pieu en plein coeur, et a besoin de boire du sang pour survivre. Si Hammon est parvenu à créer un succédané (40 ans avant le Tru Blood, excusez du peu), celui-ci ne semble pas suffire au vampire.
Un roman qui a le mérite de préfigurer les séries et auteurs qui vont suivre, mais a été relativement oubliée par l’Histoire. Si on peut le considérer comme ayant participé à la constitution de la figure du vampire littéraire, difficile de s’appesantir outre mesure sur cet opus qui n’a pas forcément bien vieilli.