Dracula est cité dans une infinité de livres de référence, et ce dans le monde entier. Mais vous ne trouverez pas de mention de son créateur. Harry Ludlam a lu la première fois Dracula durant ses années d’école de nuit, à la lumière : « L’expérience m’a tellement effrayée que je n’ai pas pu finir ma lecture ! ». Des années plus tard, alors qu’il était jeune journaliste pour une gazette, il achète une copie usée et délavée du roman pour 6 dollars à l’occasion d’une fête de l’église locale. À partir de là, il n’a eu de cesse de s’interroger sur l’insaisissable auteur. Il a commencé à faire des recherches dans les archives de tous les journaux et magazines pour lesquels il travaillait. Finalement, après avoir contacté Noel Stoker, le fils de Bram, il a eu accès à la correspondance privée et aux journaux de la famille : ce livre en est le résultat.
En 1962, la Fortune de Dracula bat son plein. La Hammer a déjà produit deux longs-métrages autour du comte vampire, dont Le Cauchemar de Dracula en 1958. Universal a exploité le film dès 1931 et le Dracula de Tod Browning. Pour autant, à cette date, personne ne s’est vraiment tourné vers l’auteur du roman, resté dans l’ombre. Harry Ludlam n’a alors encore rien publié, mais après avoir pris contact avec différentes personnes ayant connu Stoker — dont son fils Noel et Hamilton Deane, qui a adapté Dracula au théâtre — il a accès à des informations de première main sur l’existence de l’écrivain et le devenir de son texte. À ce titre, il est ainsi le premier à retracer l’histoire de Bram Stoker, depuis la naissance de ce dernier jusqu’à sa mort.
Le livre s’intéresse tout particulièrement à la vie théâtrale de l’auteur, à son poste de gestionnaire du Lyceum Theatre et d’assistant d’Henry Irving, acteur incontournable de la période. Il détaille dans le même temps la carrière littéraire de Stoker, qui se construit dans l’ombre de son travail quotidien. Le lecteur se voit proposer des extraits et résumés des différents ouvrages de l’écrivain irlandais, ainsi que des éléments sur la genèse des textes, et leur contexte de rédaction. Pour autant, le biographe montre lui-même dès le début que Dracula est l’œuvre phare de l’auteur, en s’intéressant par exemple à l’influence — indiscutable selon Ludlam — du Carmilla de Le Fanu, ou de l’expérience du choléra vécue par sa mère quand elle était enfant.
Un chapitre complet est néanmoins focalisé sur Dracula, sa rédaction, les éléments qui ont progressivement mené à sa genèse et l’impact de sa publication. Il souligne ainsi l’influence de Wilkie Collins, un habitué des récits à point de vue multiples qui a laissé son empreinte sur les prises de parole successive des protagonistes de Dracula. Ludlam rappelle également que dès sa sortie, le texte n’est pas passé inaperçu. Ludlam décrit particulièrement les premiers pas du livre sur les planches, par l’entremise d’une lecture théâtralisée, dont il produit les programmes et détaille le casting. La biographie ne s’achève par ailleurs pas à la mort de Stoker, et suit le devenir de Dracula au théâtre et au cinéma, tout en relatant la redécouverte de « l’Invitée de Dracula ».
Première biographie consacrée à Bram Stoker, le livre de Ludlam est historiquement intéressant, en cela qu’il bénéficie des souvenirs de personnes ayant côtoyés Stoker ou contribués à la fortune de son Dracula. Pour autant, le texte fait aussi des ellipses régulières, paraît faire du remplissage en mentionnant des parties entières des romans et recueils de l’écrivain, et surtout manque cruellement de sourcing. Si les quelques photos qui parsèment l’ouvrage illustrent un minimum le propos, l’auteur ne cite quasiment jamais ses sources.