Quentin est un adolescent qui passe ses journées seul, dans la pénombre de sa chambre. Le jeune homme n’est plus scolarisé depuis un moment, préférant occuper son temps à jouer sur son ordinateur et à regarder du porno. Sujet à de régulières rages de dents, il a recours au Tramadol pour supporter la douleur. Quand Quentin détruit par accident son PC, l’unique chose qui donne un sens à son existence, il se voit obligé de le remplacer. Et pour ça, il n’a d’autres choix que d’affronter le monde extérieur.
Dark Quentin est le premier album de Matao, un jeune auteur qui a profité d’une résidence à la Maison Fumetti de Nantes pour réfléchir et donner vie à ce copieux album de 160 pages, en noir et blanc. En 2021, ce projet encore en cours de création lui vaut le prix jeune talent du festival BD Boum de Blois.
Dark Quentin est clairement une œuvre à part pour les amateurs de fictions vampiriques. Au cœur du livre, il y a l’idée d’une adolescence qui ne parvient plus à trouver ses repères, et se réfugie dans une réalité numérique, entre jeux vidéos et pornographie. Un univers qui finit par totalement les vampiriser, jusqu’à les couper de tout contact social. Mais la dimension vampirique de Dark Quentin ne se limite pas à ce premier niveau. Car le personnage se dévoile progressivement comme le fils d’un vrai vampire. Et à ce titre, le seul en capacité d’utiliser la machine construite par son géniteur. Le récit convoque donc la situation vampirique à de multiples égards : Quentin se découvrant vampire, faisant ses premières victimes au travers d’une machine qui finit elle-même par le vampiriser… L’auteur joue la superposition entre figure du vampire et phénomène d’addiction. La mise en abyme est constante dans cet album ambitieux et halluciné, pas très éloigné de l’esprit Metal Hurlant.
Graphiquement, le style de Matao est à part de la production actuelle. Les traits fins sont délavés par des effets de noir et blanc qui soulignent la frontière entre les univers. L’obscurité de la chambre de Quentin, où il vit coupé de tout, sa perception du monde extérieur, flou et grouillant, etc. Le coup de crayon est tantôt réaliste, tantôt naïf dans sa façon de représenter les corps des personnages. Une approche graphique qui donne parfois l’impression d’un manque d’homogénéité, mais colle parfaitement au propos.
Dès les premières planches, les dents s’imposent dans le récit, comme le lien qui rattache Quentin et son état vampirique. Ce lien prend une autre tournure quand le jeune adolescent comprend qu’il n’est pas le seul dans son état, et qu’un petit groupe vit dans un château, flanqué d’une goule. Quentin découvre peu à peu ses instincts, et affirme son destin de vampire en sautant le pas que son père n’a jamais réussi à franchir : s’attaquer directement à autrui. Les renversements sont constants quant à la façon d’aborder la figure du vampire : Quentin est vampirisé par les écrans, puis embrasse sa condition, en vampirisant par moniteur interposé ceux dont il a été la victime par le passé. Avant de comprendre qu’il est lui-même vampirisé par autrui, même s’il est peut-être déjà trop tard pour sortir de cette boucle sans fin.
Sous couvert de vampire, Dark Quentin est un album qui dresse un portrait très sombre de l’adolescence d’aujourd’hui, ses doutes, ses faiblesses et ses travers. L’auteur se sert de la figure du buveur de sang comme un catalyseur de cette réalité, plongeant le lecteur dans un univers désabusé où chaque moment de plaisir semble avoir une contrepartie nocive.