Sherlock Holmes est un personnage littéraire emblématique, dont la Fortune n’a de cesse de croître au fil des ans. Figure du récit policier, le détective imaginé par Conan Doyle est un chantre de la logique et du rationnel. À travers une étude qui explore sa descendance (principalement à l’écrit, mais pas uniquement) autant que l’œuvre originale, Xavier Mauméjean dresse le portrait d’un enquêteur perpétuellement tiraillé entre imaginaire et réel. Matière à justifier d’en faire un détective de l’étrange ? C’est dans cette direction que l’essayiste va tenter de nous conduire.
Xavier Mauméjean n’en est pas à son premier coup d’essai holmésien. On lui doit notamment Les Nombreuses vies de Sherlock Holmes et Sherlock Holmes, une vie. Deux ouvrages en duo avec André-François Ruaud où les auteurs établissent une biographie cohérente du personnage au travers non seulement du Canon (les nouvelles et romans écrits par Conan Doyle) et les écrits des continuateurs. Seul, Xavier Mauméjean ne cesse d’explorer cet espace où la frontière entre réel et imaginaire se brouille, que ce soit dans ses romans ou ses études. Il n’est donc pas surprenant de le voir revenir sur le cas de Holmes. Analysant celui-ci à la lumière de Kant (notamment), il met au jour les multiples aspects d’un personnage qui évolue dans un monde connu (le Londres de l’ère victorienne), tout en étant déjà, à ce moment-là, dans un univers de fiction (l’inexistence de l’adresse 221B Baker Street).
Cette première brique, associée à la méthode holmésienne, qui procède par inférence, ouvre des portes à l’essayiste. Ces dernières, par l’entremise des repreneurs du détective, sont autant de rencontre avec des genres et autres figures des littératures de l’imaginaire. Personnage de pure fiction qui se cherche une place dans le réel (et la trouve, pour une partie des lecteurs), Holmes est convoqué dans le récit policier, mais également en fantastique ou en SF. C’est là qu’il fait, notamment, la connaissance de Dracula. Mauméjean souligne un parallèle fort entre les deux figures, qui se sont maintes fois croisées en littérature : Saberhagen, Newman,… Il y a du sens à voir en Holmes une personnification du Surmoi, guidé par la Raison, quant Dracula est une incarnation du Ça, incarnation absolue de la Passion (On passe donc de Kant à Freud). Le chapitre « Le défaut de la raison » offre ainsi à l’amateur de vampire matière à une étude des deux personnages par le prisme de leurs rencontres multiples. Un passage en revue analytique de nombreuses séries et romans qui donnent autant de pistes de lecture.
La part vampirique de l’ouvrage est limitée (ce n’est pas l’objet principal), l’auteur explore également les errances de Holmes en terre lovecraftienne et wellsienne (notamment). Pour autant, le texte s’ouvre sur une situation du Vampire du Sussex, la seule nouvelle de Conan Doyle, pour ce qui est du Grand Détective, à voir celui-ci se confronter au thème du vampire. À mes yeux, cette nouvelle est incontournable pour l’amateur des créatures de la nuit. Elle démontre en premier lieu que Doyle n’est pas Holmes (ce dernier réfute la thèse surnaturelle, alors que Doyle, par son intérêt pour le spiritisme, est à l’opposé). De fait, le mot vampire n’apparaît qu’en début et fin de récit, pour mieux lui tordre le cou. Mais elle amène, à sa façon, une autre variation sur le vampire littéraire : le faux-vampire. À ce titre, Doyle est dans la lignée de Stoker. On connaît ce dernier pour son Dracula, mais l’auteur irlandais a également joué du faux vampire, dans La Dame au Linceul. Xavier Mauméjean passe d’ailleurs un certain temps à dresser des parallèles entre les deux romanciers, qui étaient autant des contemporains que des connaissances, l’un de l’autre.
À l’image du Nosferatu contre Dracula d’Olivier Smolders, Sherlock Holmes, détective de l’Étrange est un nouvel opus passionnant de la collection La Fabrique des Héros. Un ouvrage qui devrait intéresser les amateurs du détective au deerstalker, mais qui peut offrir des réflexions (et idées de lectures) aux adorateurs des bêtes à crocs.