Patrick Mc Spare, co-auteur (avec Olivier Peru) de la série des Hauts Conteurs, nous propose sa vision de l’histoire de l’une des figures vampiriques majeures, à savoir la Comtesse Erzebeth Bathory.
Nous sommes en 1602, Le roman commence au moment où le destin et l’existence de la comtesse basculent. La Comtesse est issue d’une famille noble et est une figure politique majeure de son pays, la Hongrie, convoitée par la dynastie des Habsbourg. Elle est riche, belle, bien qu’âgée d’une quarantaine d’années, richissime, et très respectée par ses administrés car également très pieuse et attentive aux plus démunis. Depuis le décès de son époux Ferencz Nadesdy quelques années plus tôt, elle a pris l’habitude de faire enlever ou enrôler de belles jeunes femmes de la région pour leur faire subir des tortures de nature sexuelle, habillée en homme. Mais un jour l’une de ses victimes décède prématurément sous sa férule. Dès lors, et malgré ses regrets quant à cet accident, elle ne va avoir de cesse de fuir en avant, de rattraper sa jeunesse pour ne pas connaître les affres de la vieillesse, ou plutôt de la mort. Ses turpitudes vont l’amener à rencontrer un certain nombre de personnages déviants et inquiétants, dont l’un des projets est de ressusciter l’Ordre des Dragons, une ancienne confrérie de nobles attachés à défendre leurs terres face aux envahisseurs dans le respect de leur foi chrétienne. Un ordre dont l’un des membres éminents fut l’ancêtre d’Erzebeth, tout comme un certain Vlad Dracul, voïvode de Transylvanie, qui a vécu 130 ans plus tôt. Mais le but véritable de Cadevrius Lecorpus, un alchimiste et astrologue à l’histoire trouble, est ailleurs : il veut faire venir l’Antéchrist. Parallèlement, un groupe de chasseurs de primes, venus d’horizons différents, est recruté par un notable autrichien pour retrouver la trace d’une jeune femme, supposée être entre les mains de celle que l’on surnomme déjà la Comtesse sanglante. Expériences psychotropes, orgies sauvages et décors historiques sont au menu de ce nouveau roman, très intéressant.
En effet l’auteur a pris le soin de poser un cadre historique précis autour de sa fiction. La stature de la Comtesse, les évènements et les manœuvres politiques sont présents en filigrane, concourant à la construction de la psychologie complexe d’Erzebeth. L’auteur prend soin, avant de faire démarrer véritablement le récit avec le recrutement des chasseurs de prime, de nous raconter l’enfance difficile de la future comtesse, permettant de mieux comprendre les fêlures qu’elle va peu à peu développer. Erzebeth fait de terribles cauchemars, ayant une peur bleue de la mort, et cherche à préserver sa jeunesse en développant une relation très particulière avec le sang, au point d’en priver ses victimes. Dans le même temps, Erzebeth voit sa foi vaciller et se fait manipuler au point d’aider un sorcier à préparer la venue de l’Antéchrist. Il faut dire que celui-ci est accompagné d’une jeune nécromancienne aux charmes vénéneux, Anna Darvulia, qui fait chavirer le cœur et les sens de la Comtesse. Déboussolée, cédant à ses instincts les plus vils, Erzebeth ressent même l’envie de tuer ses enfants, sentiment qui la révulse et lui fait se poser des questions sur sa santé mentale.
Sur le plan vampirique, la comtesse s’adonne à des rituels typiques, tels que la morsure au creux du cou de ses victimes avec des faux crocs, l’immersion dans des baquets remplis du sang frais des jeunes femmes qu’elle fait égorger (une pratique appelée rituel de la mer rouge)… Lorsqu’elle mord, Erzebeth éprouve une certaine ivresse, laquelle l’emporte sur son sentiment d’être devenue une bête sanguinaire. Une fois repue, elle est comme droguée et se retrouve privée de tout discernement.
Le roman compte également des créatures affamées de chair humaine qui vivent dans des cercueils du sous-sol de l’une des demeures de la Comtesse, soumis au sortilège Requiem déclamé par Lecorpus. Ces créatures aux pupilles dilatées, au teint cadavérique et à la lenteur déstabilisante sont insensibles à la douleur physique.
Face à eux, un petit groupe de chasseurs de primes, dont deux spécialistes des vampires plus ou moins avérés. On notera que l’Irlandaise Victoria Caldwell utilise une arbalète avec crosse et gâchette d’arme à feu, et des projectiles en bois de tremble, les seuls, à ses dires, capables d’infliger de vrais dommages aux vampires.
Un certain nombre de scènes de sexe explicites parsèment le roman, afin de montrer de façon schématique la posture des différents personnages. Chez les « gentils » ces scènes sont plutôt sensuelles, évocatrices tout en restant « classiques ». Chez les « méchants » celles-ci sont plus brutales, voire déviantes. Une manière comme une autre, pour l’auteur, de caractériser ses personnages.
Certains des personnages secondaires, comme Daga Wolf, mentor de Lecorpus, semblent tenir un rôle sous-exploité dans le roman, pour ensuite ressurgir sur le devant de la scène. Nul doute d’ailleurs que ces personnages, selon le principe d’univers partagé de l’auteur, reviendront dans d’autres de ses écrits. Parmi les personnages, Erzebeth va rencontrer des personnes (pour la plupart ayant réellement existé) qui ne sont pas de son temps. Patrick Mc Spare utilise donc une pirouette scénaristique bien amenée et cohérente pour se déjouer du piège, dans une suite de scènes aux accents oniriques qui ressemblent à une initiation (allant crescendo) orientée d’une manière habile et intéressante.
Au final l’auteur français Patrick Mc Spare propose une variation intéressante sur le mythe de la Comtesse Bathory, plaçant un certain nombre d’éléments fictifs plutôt intéressants dans un cadre historique respecté. Une lecture précieuse pour tout amateur du genre.
J’aime bien ces arbalètes « rétro-futuristes » 🙂