Décédée en 2022, Elizabeth Miller est l’une des figures des Dracula studies, terme qui englobe tous les ouvrages at articles de recherche (principalement universitaires) autour du Dracula de Bram Stoker. On lui doit ainsi d’avoir travaillé avec Robert Eighteen-Bisang sur l’édition des notes originales prises par Stoker durant la rédaction du livre. Dracula : Sense and Nonsense est sans nul doute son ouvrage le plus célèbre, qui lui a valu le Lord Ruthven Award en 2020. Active sur le thème depuis le milieu des années 1990, elle a eu en effet à cœur de tordre le cou aux idées reçues et légendes qui entourent le roman et ses multiples aspects.
Dracula : Sense and Nonsense a connu deux éditions. Une première mouture en 2000, puis une réédition augmentée en 2006. La genèse du livre remonte à quelques années en arrière, en 1997, à l’occasion du centenaire de publication de l’ouvrage, comme le révèle Clive Leatherdale (un autre chercheur incontournable sur le sujet), dans son introduction. Si le projet était à l’origine une idée conjointe de ce dernier et d’Elizabeth Miller, Leatherdale a rapidement laissé les rênes à son homologue. Laquelle avait à cœur de remettre de l’ordre dans les fausses vérités, non-dits et contresens qui entourent le roman de Stoker.
Miller aura été la première chercheuse non-francophone dont les écrits auront nourri mon intérêt pour Dracula. J’avais eu l’occasion de dégotter un ouvrage de sa main, A Dracula Handbook, publié par The Transylvania. Society of Dracula. Acheté dans une petite boutique de Sighișoara, cet ouvrage est de l’aveu de son auteur basé sur Dracula : Sense and Nonsense et sur Reflections on Dracula, ce dernier sorti en 1997. J’avais ainsi déjà connaissance de certains des debunkage effectués par la spécialiste, mais Dracula : Sense and Nonsense restait un manquement à ma culture draculesque qu’il fallait bien que je comble un jour ou l’autre. Le démarrage d’un projet autour du roman de Stoker me semblait être le moment idéal de lire cet incontournable.
La chercheuse divise son livre en six parties successives, qui permettent de regrouper les différentes thématiques qu’elle passe au crible. Après s’être attaquée aux sources de Dracula, elle poursuit sur le processus de rédaction, sur la matière du roman à proprement parler, sur sa géographie, sur les liens supposés entre Dracula et Vlad l’Empaleur. Avant de proposer un tour d’horizon informé de l’ensemble des sources qui existent au moment de la publication de son ouvrage (2006 pour la version révisée, donc).
Miller a une approche constante tout au long du livre, hormis la bibliographie commentée. Elle rappelle une fausse vérité, pointe son origine et son auteur principal, avant de se livrer à un démontage en règle. Il y a un certain humour dans le ton employé, notamment dans les accroches, où la chercheuse souligne souvent les raccourcis un peu faciles de ses pairs. Reste qu’elle veille à une objectivité qui force le respect, n’hésitant pas elle-même à s’étriller, voire ses proches collaborateurs tels que Leatherdale. Le contenu du livre est fascinant, et montre à quel point il est crucial de toujours aller au-delà des simples références, plutôt que de se fier aux travaux de ses prédécesseurs. Se pose également la question de la fiabilité de certaines sources, comme la première biographie de Stoker, celle d’Harry Ludlam. Je l’avais pointé dans ma chronique : cette dernière n’est jamais sourcée. Même quand il cite des échanges avec des tiers, Ludlam donne souvent l’impression de reformuler.
Miller décrypte et tord ainsi le cou à de nombreuses pseudovérités. On retiendra ainsi sa différenciation entre le Dracula de fiction et Vlad Tepes, un rapprochement amplifié par des travaux de Raymond McNally et Radu Florescu, et devenu depuis un trope à part entière de la matière draculéenne. Des films comme le Dracula de Coppola, ou le récent Dracula Untold de Gary Shores, en étant des exemples notables. Pour corriger l’ensemble des légendes et inexactitudes auxquelles elle s’attaque, la chercheuse revient immanquablement aux Notes de Stoker (dont elle a co-dirigé la publication). Mais elle convoque ponctuellement d’autres matériaux, et s’évertue une bonne partie du temps à pointer l’absence de sources (fiables ou non) pour étayer les dires de ses pairs.
En lisant Dracula : Sense and Nonsense, le spécialiste comme l’amateur éclairé ne peuvent que réaliser à quel point notre vision de l’œuvre est noyée dans un amas d’erreurs et de raccourcis. Des vérités qui sont parfois même imaginées pour nimber de poésie la genèse de ce texte majeure de la chose vampirique. A noter cependant que la recherche a avancé depuis. Ainsi l’idée que la préface à la version islandaise de Dracula soit de la main de Stoker s’est révélée fausse : il s’agit d’un faux.
Superbe compte rendu qui met en évidence les qualités immenses de Mrs. Miller – dont j’ai appris le décès avec une grande tristesse : les chercheurs de cet acabit sont trop rares. Les cinq « étoiles » sont bien méritées ! Merci à vous.