Dans le Berlin de Draconie, Requiem et Otto se livrent un duel à mort, sous le regard de Rébecca. Si Otto essaie encore de raisonner celui qu’il considère comme son ami, Requiem semble avoir fait son choix, et voit en son ancien compagnon d’armes une étape à franchir avant de pouvoir faire face à Dracula. D’autant que les personnalités de Requiem et Thurim, dont il est le nouvel avatar, paraissent être désormais en paix. Pendant ce temps, le face-à-face qui opposait l’actuel régnant de Résurrection et Ruthra, roi de Dystopie, a pris fin avec la défaite de ce dernier. Dracula a donc endigué la menace, et s’apprête à fêter comme il se doit son triomphe lors d’un banquet. Un moyen de s’entourer de tous les figures d’importance du royaume, et de débusquer le ou les traitres qui cherchent encore à le renverser ?
Près de douze ans séparent la sortie du tome 11 de Requiem, Amours Défuntes, de ce nouvel opus. Entre-temps, Nickel aura mis la clé sous la porte, et la saga a été récupérée chez Glénat, qui en a commencé la réédition en 2016. Les nouvelles versions conservent le format initial, mais ont une maquette sensiblement différente, ainsi qu’une couverture inédite. Reste que les lecteurs qui suivaient la série depuis 2000 (années de publication du premier volet) attendaient surtout que Mills et Ledroit poursuivent le récit. C’est désormais chose faite avec ce nouveau tome, qui continue l’histoire exactement où elle s’était arrêtée dans le volume précédent, mais avec une volonté de clore le cycle. Une récente interview d’Olivier Ledroit soulignait en effet que jusque-là, les deux auteurs avaient eu tendance à développer l’univers tout azimut, et qu’il était temps pour eux de reprendre en main la trame principale.
Cet opus voit ainsi le récit avancer, et certains événements initiés bien en amont enfin arriver à une conclusion. C’est le cas de la lutte entre les vampires et la Dystopie, mais surtout de la dualité Requiem/Thurim, qui empêchait le vampire de s’opposer directement à Dracula (et de porter le marteau qui doit lui permettre de faire face à son père). L’étau se resserre donc, certains protagonistes majeurs disparaissent, mais les auteurs continuent de jouer avec les références et les personnages qui évoluent sur Résurrection. Ainsi la cour de Dracula nous est présentée de façon plus détaillée que dans le tome 4, où seuls certains des présents étaient nommés à Requiem par Otto. Mills et Ledroit convoquent des figures historiques comme Robespierre, Raspoutine, Catherine la Voisin, qui s’ajoutent à Néron, Elizabeth Bathory, Cryptus, Mortiis et Black Sabbath (notamment). Matière à souligner que chaque époque a produit son lot de monstres et de sadiques. D’autres références viennent se mêler à tout ça, telles que Frankenstein (l’entité contrôlée par l’Archihiérophante), Baba Yaga, etc.
Ce douzième tome est aussi marqué par quinze ans d’actualités, les auteurs intégrant la question des luttes LGBT au sein de Résurrection, avec l’idée que certaines créatures demandent leur changement de genre. Dracula, du haut de sa suprématie, se contentera de quelques remarques acides sur ces requêtes. Le personnage a toujours incarné une certaine forme d’obscurantisme, dans son refus de la science et de la technologie, sauf quand elle est à son service.
Graphiquement, on ne peut pas dire qu’Olivier Ledroit a chômé. On retrouve la démesure du dessinateur qui s’en donne à cœur joie. L’album propose notamment une illustration sur 4 pans, les pages se dépliant pour former un quadriptyque impressionnant, couplé à deux diptyques. Je trouve davantage de maturité dans les cadrages, avec une bonne maîtrise du découpage malgré la tendance de Ledroit à éclater la norme (et à dissoudre ponctuellement ses cases). Il y a également plus de variations de couleurs. Bref, Olivier Ledroit s’empare comme il se doit de la démesure de l’histoire avec un style tout aussi baroque.
L’univers vampirique de la série est balisé depuis déjà onze tomes, difficile d’ajouter de nouveaux éléments. Et pourtant, il y a l’idée que la traitrise des personnages puisse être détectée par l’odorat, notamment Baba Yaga (qui est devenu vampire sur Résurrection). On verra également Dracula laisser libre cours à ses instincts pervers lors du de combat avec Ruthra, infligeant ce dernier une variation du supplice du pal. Pour le reste, une fois réapprovisionné en Opium Noir, l’essentiel des vampires qui résident à Résurrection sous la férule de Dracula rentrent dans le rang. La plupart des vampires, s’ils incarnent le mal à l’état pur, n’en sont pas moins hantés par leur passé humain.
Les auteurs ayant annoncé que la saga allait rapidement trouver sa conclusion, ils ont choisi d’accélérer le rythme. C’est sans doute l’une de forces de cet opus (où on sent la trame avancer, ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps), mais aussi une de ses faiblesses. Car certains combats dantesques comme celui de Dracula et de Ruthra paraissent un peu vite expédiés, malgré les 80 pages de cet album (bien plus dense que d’habitude). Même chose pour l’antagonisme final entre Dracula et Requiem, qui trouve une conclusion en quelques cases. La série n’étant pas totalement terminée, il n’est donc pas impossible que les auteurs nous réservent encore quelques surprises. Quand elle est arrivée en 2000, la série a clairement jeté un pavé dans la mare, quant à la représentation du vampire dans la BD francophone. Même si le scénario a connu des hauts et des bas, ce nouvel opus bien attendu permet de diriger l’ensemble vers une fin satisfaisante. Quant au dessin, c’est assurément le point fort de ce douzième volume, Olivier Ledroit ne se reposant pas sur ses acquis.