1944. Sur le front russe, l’officier nazi Heinrich décède. Il se retrouve dans la peau d’un vampire, dans un monde étrange où tous les repères temporels sont inversés. Initié par les chevaliers vampires, il va se retrouver à leurs côtés dans les luttes démesurées que se livrent les différentes races qui vivent dans ce monde qu’on nomme Résurrection. S’il accepte sa nouvelle condition, Heinrich n’en reste pas moins hanté par le souvenir de Rebecca, arrêté par la Gestapo peut avant sa mort.
J’avais longtemps retardé la lecture de cet album, ayant eu de très gros a priori sur le dessin d’Olivier Ledroit, mais je ne peux aujourd’hui que regretter d’être resté si longtemps étranger à cette série.
Le scénario de ce premier opus est d’une inventivité rare, tout en s’appuyant sur des motifs connus. Le personnage de Heinrich est très travaillé, tiraillé entre sa condition de vampire et son ancien amour. Via ce ressort dramatique, Mills s’approprie de belle manière l’un des poncifs de la fiction gothique (l’amour par-delà la mort), en le replaçant dans un univers dantesque, dont les rouages ne nous sont révélés que progressivement. Au même rythme qu’Heinrich, le lecteur réalise que l’histoire se situe dans une sorte d’antichambre de l’enfer, un purgatoire où se retrouve une partie de l’humanité, à son décès. Hors du temps, Resurrection est un endroit où les vampires semblent être les maîtres, et ou tout fonctionne à reculons.
Mills fait d’Heinrich un anti-héros en proie à l’impossibilité de tourner définitivement le dos à sa vie mortelle, tout particulièrement son amour pour Rebecca. Sa position d’officier nazi, face à la judéité de la jeune femme, achève de faire du couple une variation sur le mythe de Roméo et Juliette. Les auteurs insèrent des notes d’humours (le fusil lance-pieux qui produit le son Tsepesh), mais la tonalité est désespérée, et Requiem s’impose comme une oeuvre extrême sur tous les plans.
Le dessin est à la fois sombre et incisif, mariant habilement des teintes rouges, oranges et noires pour un résultat baroque, certes chargé, mais terriblement efficace, et dont je n’ai pas à ce jour trouvé la pareille, le tout organisé autour d’une mise en page audacieuse et savamment maîtrisée. Ledroit paraît obsédé par l’idée de faire disparaître la moindre occurence de blanc de ses planches, et les cases n’ont vite plus de limite. Matière à ce que le baroque du récit ne rejoigne celui du graphisme.
Dans ce premier tome, les vampires sont présentés comme la faction la plus puissante de Resurrection, celle qui est maître des lieux. A leurs morts, certaines personnes sont réincarnés en vampires, la seule exception étant Dracula, né mort-vivant. Les nouveaux venus sont confiés aux bons soins de Cryptus, un très ancien vampire qui assure leur enseignement. Matière à rappeler l’enseignement de la Scholomance, car Cryptus apprend à Heinrich que seulement un étudiant sur 10 survit à son apprentissage. Les vampires de cette univers sont plongés dans la nuit : la lumière du soleil n’est donc plus un problème. Ils ont besoin de boire régulièrement du sang pour survivre : les anciens ont leurs propres victimes personnelles, quand les plus jeunes fréquentent les bars.
Un premier opus qui pose d’emblée les bases d’une série atypiques et outrancière.
Excellente BD.
Certaines idées mériteraient d’être approfondies justement comme la notion de temps et d’espace.